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Sandman

Une critique de SpaceFox, publiée le .

Le Seigneur des Rêves apprend qu’il faut soit changer soit mourir, et il prend sa décision.

Ceci ↑, c’est la trame de « Sandman » résumée en moins de vingt-cinq mots par l’auteur lui-même. Pour être plus complet, « Sandman » est un comics (plus exactement un roman graphique, ou une série de romans graphiques) fantastique publiée aux États-Unis et écrite par le britannique Neil Gaiman. S’il est connu pour beaucoup d’autres choses maintenant (De Bons Présages, Neverwhere, Stardust, American Gods, Coraline, Anansi Boys, etc.), c’est cette œuvre qui l’a révélé.

C’est une série de contes plus ou moins indépendants, inspirés par diverses mythologies de tous les coins du globe. Leur seul point commun est la présence d’un ou de plusieurs membres des « Éternels », qui sont des incarnations anthropomorphiques du destin, de la mort, du rêve, du désespoir, de la destruction, du désir et du délire1. Il existe pourtant une trame principale, qui suit surtout les aventures de Rêve/Dream/Morphée ; mais une partie des arcs racontent des histoires séparées dans lesquels les Éternels ne font qu’une brève apparition.

Chacun de ces contes est illustré par un dessinateur différent, ce qui renforce encore la spécificité de chacun et l’impression d’incohérence de l’ensemble.

L’avis du renard

« Sandman » est une œuvre complexe et difficile à appréhender, et ce pour plusieurs raisons.

La forme d’abord. Je ne vais pas me faire des amis avec cette opinion, mais format « comics » implique souvent des pages entièrement en couleur, très surchargés et assez peu lisibles. L’effet est renforcé ici par les différents dessinateurs du projet, dont le niveau et la lisibilité sont assez inégaux. De plus, comme les histoires peuvent être très diverses, on a parfois du mal à comprendre quand et comment l’arc en cours se rattache au tout.

Le fond, ensuite. Neil Gaiman utilise une quantité gigantesque de références : non seulement aux contes d’à peu près toute la Terre, mais pas seulement, et de loin. Beaucoup de ces références sont spécifiquement anglo-saxonnes, et certains arcs demandent d’avoir ces références pour être compris. De plus, l’écriture de Neil Gaiman est à des années-lumière du cliché du comics (histoires simplistes, superhéros omnipotents ou presque, superméchants…), et il n’hésite pas à exiger que son lecteur réfléchisse pour comprendre où il veut en venir. Ceci a valu à la série le qualificatif – mérité – de « bande dessinée pour intellectuels ». Les premiers épisodes, en particulier, deviennent beaucoup plus clairs avec la suite.

La couverture du tome 1 de la dernière édition de l'intégrale française.

Pour le lecteur qui arrivera à supporter la forme et qui décidera de s’attaquer au fond, découvrira un comics passionnant, non manichéen, souvent gothique. Il varie du très sombre au conte de fées, avec diverses touches de fantastique, de merveilleux et une bonne dose de tragédie.

On y trouve en particulier une galerie de personnages étranges et attachants, à commencer par les Éternels eux-mêmes. Beaucoup sont fantasques, bizarres, marginaux – des êtres que l’on voit peu dans les productions littéraires à qui Sandman donne une visibilité, sans que ça ne soit de la basse provocation.

Et surtout, on va retrouver ces personnages pour longtemps : il y a environ deux-mille pages de « Sandman » – c’est beaucoup avant de commencer, et trop peu quand on l’a fini.

L’intégrale française – il me manque le tome 0. Je vous ai mis un manga et une BD pour l’échelle.

En résumé, c’est un comics que je ne conseillerais pas à tout le monde, mais passionnant pour qui a le courage de s’y attaquer. N’hésitez pas l’emprunter en bibliothèque pour voir si ça vous convient, et ne vous limitez pas au premier conte, qui est assez peu représentatif par sa noirceur et son hermétisme.

Si vous le pouvez, essayez de vous procurer l’édition intégrale : elle vient avec énormément de bonus, qui expliquent beaucoup de références et détaillent ce que l’auteur a essayé de nous dire. Personnellement, ils m’ont permis de comprendre beaucoup de sens cachés à côté desquels j’étais complètement passé. En plus de contenir des anecdotes amusantes, comme le fait que Neil Gaiman a reçu à la fois des lettres d’admiration (principalement de lecteurs scandinaves) et d’insultes (principalement de lecteurs étatsuniens) pour son personnage de Thor.

À lire absolument si on aime

À éviter si on cherche

Si vous avez aimé ce livre…

Une série serait en préparation. J’ai du mal à imaginer ce que ça pourrait donner tant le médium d’origine est éloigné de toutes les conventions cinématographiques.


  1. Tous les noms originaux de ces concepts commencent par un « D » (destiny, death, dream, despair, destruction, desire et delirium), et sont parfois collectivement désignés sous le nom des « Sept D »↩︎

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