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15 – Les Dieux ne jouent pas aux dés

Un épisode de l’Inktobre 2020 de Lisa Refur, publié le .

Les Dieux existent, c’est un fait établi, et il n’y a pas à revenir dessus. La seconde question qui vient lorsqu’on parle d’eux est souvent de savoir « qui a raison ». Tous existent, simplement ceux qui pensaient avoir une religion monothéiste se trompent sur ce point – à moins qu’ils ne considèrent que leur religion ne concerne que leur dieu, spécifiquement.

J’aimerais pouvoir écrire que les dieux vivent en bonne harmonie au Paradis – je pourrais le faire, mais ça serait un double mensonge. D’une part, parce qu’ils ne vivent pas au Paradis, mais sur Terre, sur une ile paradisiaque jamais découverte par les humains malgré leurs outils technologiques. Et d’autre part, parce qu’ils passent leurs temps à se chamailler.

Être Dieu implique d’une manière ou d’une autre un égo surdimensionné. Même ceux qui prônent l’humilité et la simplicité se sont vu pousser quelque orgueil à force d’être adorés par des milliers de personnes. Cette concentration d’orgueil rend la cohabitation assez délicate, surtout que certains d’entre eux sont persuadés d’être le Seul Dieu.

Une autre caractéristique des dieux, c’est qu’ils s’ennuient : difficile d’être surpris par quoi que ce soit quand on est, par nature, omniscient et omnipotent. Alors ils jouent. Les Dieux ne jouent pas aux dés, ni aux cartes, ni à un quelconque jeu de stratégies. Ils jouent à un jeu étrange et changeant, où chacun invente les règles au fur et à mesure, dans l’espoir de se distraire, de surprendre les autres et surtout de s’étonner soi-même.

Ce jeu implique les humains, parce qu’impliquer les humains est toujours plus intéressant et imprévisible, surtout lorsqu’ils ne sont pas au courant.

— Mon cavalier va en C4, et vous me devez tous 3 pièces d’or, dit Freyja en déplaçant une pièce sur un grand plateau à cases hexagonales.

Assise sous une tonnelle, un grand chat gris sur les genoux, elle profitait d’un beau soleil et d’un grand verre de nectar frais. Beaucoup, beaucoup plus loin sur Terre, une horde de barbares déferlait sur ses voisins et pillait allègrement.

— Je pose ce cyclone, vous reculez tous d’une case, dit Amaterasu en abattant une carte.

L’assemblée protesta et contesta le point, mais c’était presque systématique. Un ouragan dévasta les Grandes Antilles.

— Dieu, c’est à toi de jouer.

— D’accord, répondirent plusieurs personnes.

Le cas de Dieu était complexe. Les divinités entretiennent des relations floues et tumultueuses avec leurs noms, leurs personnalités et leurs attributs ; la fâcheuse habitude des humains à les mélanger et à se réapproprier leurs pouvoirs n’aidait vraiment pas à éclaircir la situation. Dans le cas particulier de Dieu des chrétiens, c’était encore pire, car chacun réclamait le titre de Dieu unique, ce que de toute évidence il n’était pas – et ça ne l’empêchait pas d’essayer.

Il y avait donc le Dieu des orthodoxes, le Dieu des catholiques, le Dieu des protestants – pardon : les Dieu des protestants, plus un certain nombre de Dieu d’autres confessions chrétiennes mineures. Presque chacun d’entre eux était accompagné d’un Jésus et d’un Saint-Esprit, qui était considéré comme Dieu aussi, mais pas tout à fait, mais qui était Dieu quand même. Pour ne rien arranger, les choses, tous les Allah de tous les courants musulmans répondaient au nom de Dieu (mais généralement à ceux de Jésus ou de Saint-Esprit, sauf en ce qui concernait leurs parties divines), de même que le Dieu du judaïsme.

Donc, tout ce petit monde répondit « D’accord » lorsque Amaterasu laissa son tour de jeu. Cette dernière fusilla la foule du regard, et tendit le jeton « premier joueur » au Dieu concerné – celui des catholiques arméniens.

— Parfait, dit-il. Voyons voir… j’utilise quatre ressources de cuivre pour engager mon assassin et tuer le roi de Ganesh.

Il prit quatre jetons orange devant lui, les remis à la banque et posa une carte où était dessiné un égorgeur. Le souverain d’une dynastie d’Afrique mourut.

— Impossible, barrit Ganesh, tu n’avais que trois cuivres à ce tour ! Tu triches !

— Et pourtant, mon bon ami, tu as bien vu que j’avais bien quatre ressources quand je les ai déposées à la banque. Le mouvement est valable.

— Calmez-vous, tous les deux, gronda Thor. Ça n’est qu’un jeu. Jouez.

— Mais il triche !

De fait, Dieu trichait. Tous trichaient, en réalité – où aucun ne trichait, si l’on considérait que créer des règles était une règle valable. Et tous savaient que tous trichaient, puisqu’ils étaient tous omniscients.

Mais ce genre de magouille leur permettait de se disputer, donc de se distraire. Et ça, c’était amusant.

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