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Dragon Blood – 1 : Le sang du dragon

Une critique de SpaceFox, publiée le .

Comment ça : « Prix Hellfest – Inferno 2018 » ? Le Hellfest, c’est un festival de musique. Comment un festival de musique peut donner un prix à un roman, et sur quels critères ?

Le prix Hellfest – Inferno

Ça, c’est pour l’accroche. La réalité c’est que j’étais au courant de l’existence de ce prix, créé par le Hellfest et les éditions Bragelonne avec une première remise en 2017. Tout par du constat que la littérature, en particulier celles de l’imaginaire1, ont beaucoup influencé la musique métal et donc qu’on pourrait faire un prix où des metalleux votent pour un livre que les a marqués dans ce type de littérature.

Il y a un site qui présente la sélection en cours et où l’on peut voter (le scrutin est clos), six ouvrages nominés, et une grosse publicité de la part du Hellfest et de Bragelonne. Le roman qui a le plus de voix gagne une mise en avant et une édition poche à pas cher.

Le principal défaut de ce prix, à mon sens, c’est d’être organisé par un éditeur, ce qui limite les votes possibles à des livres publiés par celui-ci. Ça force à passer à côté de pépites, et je suppose que c’est la cause de la prédominance massive de productions anglo-saxonnes dans les choix proposés, même si la sélection pour le prix 2020 a l’air plus équilibre à ce niveau – et tant mieux : l’éditeur est français, le festival français, et on a assez de bons auteurs de littératures de l’imaginaire pour trouver au moins trois ouvrages corrects par an.

Cela étant, j’étais curieux de savoir ce qu’un public tel que celui qui assiste au Hellfest apprécie comme littérature, alors j’ai acheté les gagnants des prix 2017 et 2018. Assez disserté, voyons ce que vaut le bouquin.

L’avis du renard

Une première impression décevante

« Dragon Blood – 1 : Le sang du dragon » c’est d’abord une couverture générique, un titre et un nom de tome complètement clichés, deux cartes, un prologue et une fausse citation, autant dire que ça partait mal.

La couverture du livre, rien de très original ici.

Néanmoins ce serait dommage de s’arrêter là, parce que la suite est bien meilleure. Le monde est partagé entre un grand empire à l’organisation traditionaliste et féodale, un protectorat plus ou moins dirigé par des compagnies privées ultrapuissantes et quelques états indépendants. Sur un petit continent, on trouve des dragons (appelés « dracs ») dont le sang permet à de rares élus d’acquérir des capacités surnaturelles – ce qui a entrainé d’une part une chasse organisée de ces êtres, et d’autre part des luttes de pouvoir pour le contrôle dudit continent.

L’histoire commence alors que les lignées de dracs s’affaiblissent, ce qui menace l’équilibre mondial. Un mythique « drac-argent » aurait le pouvoir de restaurer ces lignées. On va suivre les aventures de trois personnages principaux (Lizanne, Clay et Hilemore) embarqués dans les changements imposés par la situation.

Un univers original et bien ficelé

Le point fort du livre, à mon sens, c’est de loin son univers.

On est sur un mélange assez atypique, quelque part entre fantasy (les dragons, les pouvoirs…) et le steampunk (les compagnies, une technologie à charbon, des navires en métal, des armes à feu assez avancées…) avec une bonne cohérence interne. Les pouvoirs magiques donnés par le sang des dragons (quatre races de dragons qui octroient quatre capacités) sont utilisés au quotidien, leur présence – et leur disparition probable si rien n’est fait – permet de justifier l’évolution de l’univers de façon naturelle.

Au-delà des grandes lignes, l’univers évite les incohérences et clichés habituels. Les civilisations ne sont jamais de simples copié/collés de notre réalité (même si des parallèles sont parfois possibles, ça n’est jamais aussi simple), plusieurs points qui semblent décousus au premier abord sont en fait exploités et résolus dès que l’écrivain nous fournit l’explication, etc. Le récit est consistant avec les cartes, ce qui prouve un réel travail de l’auteur à ce niveau et c’est assez rare pour être mentionné.

Mais surtout c’est l’abondance de petits détails qui fait la cohérence de l’univers : par exemple, le Protectorat étant dirigé par des compagnies privées, ses navires ont des noms tels que Opportunité-Favorable, Avantage-Mutuel ou Obligation-Contractuelle. Des astuces comme ça, le livre en est bourré, et mine de rien ça enrichit beaucoup l’ambiance et l’univers. Dommage que l’auteur n’ait pas poussé jusqu’aux noms de ses personnages, qui restent très « anglais déformé » dans l’esprit.

Une histoire convenue

Si l’univers est très agréable, l’histoire n’apporte pas de grande surprise, dans un sens comme dans l’autre d’ailleurs.

Les trois héros ont chacun un chapitre en alternance. Si les histoires de Lizanne et de Clay se recoupent assez rapidement, celle de Hilemore n’est reliée aux autres qu’à la toute fin du tome 1. En l’état je ne sais pas dire si elle n’est là que pour enrichir l’univers, ou aura une vraie importance dans les deux tomes suivants.

Quant au reste, c’est assez classique. Non pas que ça suit un schéma déjà vu et revu, mais dans le sens où l’histoire se déroule à peu près comme on sent qu’elle va se produire, sans surprise majeure. C’est agréable à la lecture, mais ça ne donne pas un roman marquant sur ce point, et je serai sans doute incapable de vous refaire un synopsis détaillé d’ici deux mois.

Une écriture parfois laborieuse

L’auteur aime son univers. L’auteur veut que l’on comprenne son univers et ses personnages. Et donc, il s’assure de nous donner absolument tous les détails pour que l’on saisisse bien pourquoi chaque personnage se conduit comme il le fait. Tout ça garantit la cohérence du récit, mais dilue l’action dans une masse de précisions pas toujours utiles, surtout que certaines sont répétées encore et encore. Les personnages sont généralement attachants (et les personnages secondaires plus que les héros d’ailleurs).

D’un point de vue de la transmission des émotions, le point faible du livre est dans ses scènes de guerres, très nombreuses. L’auteur semble vouloir décrire des situations cataclysmiques, mais en fait trop, avec trop peu d’implications, ce qui m’a empêché de me sentir concerné par ces massacres.

Le bouquin fait 880 pages au format poche, je suis à peu près certain qu’on pourrait faire tenir la même histoire en moins de 500 sans rien perdre. Les digressions ne sont généralement pas désagréables, mais je me suis surpris plusieurs fois à penser « d’accord, mais ça on s’en fout ». Un avantage du procédé, c’est qu’il est impossible de passer à côté d’un détail crucial : même en lisant en diagonale, ce qui est important pour l’histoire sera répété de façon à ce que le lecteur ne puisse pas l’ignorer.

Le prologue, lui, est complètement inutile : en plus d’être pénible parce qu’écrit (volontairement) dans un style administratif imbitable, il est incompréhensible tant qu’on n’est pas arrivés au premier tiers du livre, et toutes les informations utiles qu’il donne sont rappelées aux moments voulus. Ce en quoi il a exactement la même inutilité que 95 % des prologues que j’ai lu.

En résumé

« Dragon Blood – 1 : Le sang du dragon » fait partie de ces livres qu’on lit plus pour son ambiance et son univers que pour son histoire. Et de ce point de vue il est réussi : si je trouve les tomes 2 et 3 à des prix corrects, je les achèterai.

À lire absolument si on aime

À éviter si on cherche

Si vous avez aimé ce livre…

J’aimerais dire « Les autres lauréats des prix Hellfest – Inferno ».

Sauf que…

Je vous ai dit que j’ai acheté (en même temps) les lauréats des prix 2017 et 2018. Le livre ici chroniqué est le gagnant 2018.

En 2017, c’était « L’âge des ténèbres – 1 : Mage de Guerre » de Stephen Aryan. Un machin de fantasy qui se veut très sombre et très violent, et qui arrive surtout à être très confus et très cliché, au point que je n’ai jamais réussi à trouver le courage de le finir.


  1. Fantasy, science-fiction, fantastique, horreur… ↩︎

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