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27 – Renarde

Un épisode de l’Inktobre 2020 de Lisa Refur, publié le .

La renarde était assise devant la porte, sous l’auvent. Depuis un mois, elle attendait K à son retour à l’ermitage. Elle le regardait entrer, l’air interrogatif ; puis quand il devenait évident que le moine préférait vaquer à ses occupations à s’occuper d’elle, elle repartait.

Pas cette fois-là.

K ôta ses sandales et s’assit sur le perron, à côté de la renarde.

— Dis-moi ce que tu attends de moi. Parle, je sais que tu le peux.

— Merci, ô moine. Je me permets de me présenter moi-même : l’on me nomme Chiyoko, et je suis ici pour solliciter ton secours.

— Ça, j’avais compris, merci, bougonna l’homme. Viens-en au fait, renarde.

— Comme tu le sais, cette forêt est très difficile d’accès en plus d’être protégée. Les humains comme toi y sont donc très rares ; les seules personnes qui passent par ici sont quelques scientifiques en errance et des vieillards en promenade. Or, pour grandir, j’ai besoin du contact de quelques spécimens raisonnablement jeunes de ton espèce…

Le moine se redressa et recula de deux pas.

— Démon ! Tu viens donc me séduire ? Je ne tomberai pas dans tes sombres filets !

— Non ! Tel n’est pas mon plan, je te le jure !

— Je connais vos promesses et vos ensorcèlements, renarde. Que vaut ta parole ? Qu’est-ce qui me prouve que tu ne vas pas te transformer sur-le-champ en une sublime jeune femme ?

— La logique, et ce que je connais de toi, ô moine. Tout beau, jeune et vigoureux que tu sois, ton seul contact ne suffirait jamais à ma croissance.

K ne put s’empêcher de rougir, il grogna son assentiment.

— D’autre part, continua Chiyoko, je t’ai assez observé pour savoir que tu résisterais à mes avances. Ton dévouement dépasse tes qualités physiques, intellectuelles et morales, ce qui n’est pas peu dire. La simple idée d’abandonner ton nom par humilité prouve à la fois ton génie et la solidité de ta foi.

Le moine se rassit, et observa la renarde. C’était une jeune femelle, tout juste sortie de l’adolescence. Son apparence était présentement celle d’une renarde rousse tout à fait ordinaire, bien portante, le poil lustré et soyeux ; mais son ombre affichait une seconde queue qui trahissait sa nature.

— Ton verbe et ton action divergent, renarde. Tu prétends ne pas me séduire en me flattant à outrance.

— Je ne puis aller contre ma nature, ô moine. Néanmoins mon esprit est pur et mon cœur sincère. J’ai réellement besoin de ton aide.

Elle se prosterna.

K réfléchit. Qu’avait-il à y perdre ? Chiyoko était une jeune renarde, frêle et fragile malgré ses grands airs. Elle disait vrai : sans quitter cette forêt, elle resterait coincée dans son développement. Ce qui, pour son espèce, équivalait à une condamnation.

Il soupira.

— Relève-toi, renarde. Je ne mérite pas cet honneur.

Il marcha de long en large en marmonnant dans sa barbe.

— C’est entendu, Chiyoko, je vais t’aider. Tu vois la grande tour à la lisière de la forêt ?

— Oui.

— Rendez-vous là-bas, à la prochaine pleine Lune. Tu auras besoin de beaucoup de courage, et de toute ta puissance.

La renarde se prosterna de nouveau.

— Merci infiniment. Je remets ma vie entre tes mains, ô moine, et te prie d’en prendre bien soin.

* * *

Takeshi rentrait du lycée. Il avait décidé de profiter de l’un des derniers beaux jours de l’année pour passer le chemin qui longeait la forêt, un peu plus long, mais infiniment plus agréable que la route directe qu’il empruntait tous les matins lorsqu’il était en retard.

Son smartphone vibra, une séquence qu’il ne reconnaissait pas. Sur l’écran, une notification disait : « Bonjour ! ». Il l’ouvrit.

Il ne reconnaissait pas l’application de messagerie, mais le matériel était neuf, il devait s’agir d’une application fournie d’office. Le logo orange stylisé lui inspirait confiance.

Un serpentin orange et blanc tourna sur lui-même deux ou trois fois, puis un portrait s’afficha. Une femme superbe, bien plus belle que n’importe qui dans sa classe ou même dans tout le lycée ; un visage étroit aux pommettes hautes, les sourcils minces, les yeux comme un sourire permanent ; un visage dont il tomba instantanément amoureux, qu’encadrait une impeccable coiffure sophistiquée. La photo laissait entrevoir un uniforme d’un lycée qu’il n’identifiait pas.

Une bulle de texte apparut par-dessus l’image.

« Bonjour »

Puis une seconde.

« Je me présente, je m’appelle Chiyoko »

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