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20 – Couloir sans fin

Un épisode de « Seuils », l’Inktober 2021 de Lisa Refur, publié le .

Lorsqu’ils se levèrent enfin, un solide petit déjeuner était apparu sur la table basse, répandant une délicieuse odeur de pain chaud et de café frais. Un coin de la pièce avait été organisé autour de paravents, d’un nécessaire de toilette rapide, et de vêtements à leurs tailles. D’après la puissante lumière qui filtrait à travers les rideaux de velours, il était déjà tard dans la matinée.

Isis se réveilla la dernière, alors que les trois autres étaient habillés et avaient bien entamé leur repas. Az avait retrouvé son étrange cache-poussière ; Aya portait maintenant une longue robe droite azur complétée d’une improbable veste cyan, d’un voile, de bas et de gants marine et de bottines de cuir bleu nuit. Venceslas, lui, était vêtu d’un fin pulloveur à col roulé sapin, d’un pantalon noir et de chaussures marron. Est-ce qu’il y avait une raison à ce changement de toilette, autre que l’humeur du maitre des lieux ?

— Bonjour, marmotte ! Lui dit ce dernier.

— Tiens, installe-toi ici, ajouta Aya en se levant.

Elle désigna le pouf à côté du jeune homme.

— Tu peux rester assise si tu veux, répondit Isis, il y a de la place.

— Non, non, j’insiste. De toute façon, j’ai terminé.

Fini de quoi ? Se demanda Isis. Je ne me rappelle pas l’avoir jamais vue manger. Est-ce qu’elle mange seulement ? Si oui, comment ? Elle n’enlève jamais son masque. Sinon, de quoi se nourrit-elle ? Le temps qu’elle finisse de s’interroger, elle était assise sur le pouf libéré par Aya, cette dernière la tenant par le bras – l’avait-elle installée sans qu’elle s’en rende compte ? Bah, elle avait simplement dû occuper la première place disponible. Elle n’était pas encore bien réveillée, après tout.

Une demi-heure plus tard, c’est une équipe fraiche et dispose qui se posait la question fatidique :

— Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?

— D’abord, il faut que je vous informe de quelque chose, fanfaronna Venceslas.

— De quoi ? demanda Isis.

— Cette nuit, j’ai eu une révélation, et je sais à présent pourquoi je voyage, et quel est mon but. Ça veut dire que votre présence à tous est expliquée par la même occasion, puisque vous êtes tous liés à moi.

Isis détailla le jeune homme de haut en bas puis de bas en haut. Non, il avait l’air complètement normal. Qu’est-ce qui lui prenait ? Az levait les yeux au ciel. Aya… restait tout à fait neutre, possibilité qui surpris la jeune femme.

— Et alors, quel est ce but ? demanda-t-elle.

— Je suis ici pour devenir une nouvelle personne. Et j’ai déjà passé la première épreuve cette nuit.

— Tiens donc. Et quelle est la suite ?

— Me trouver une destination qui m’accomplira dans mon être. Enfin, je suppose. De toute façon, toi et Aya me suivrez, et Az…

— Je ne te suis pas lié, Venceslas. Les deux jeunes femmes le sont, mais pas moi. Je suis simplement votre guide – note le pluriel, s’il te plait. Et en tant que conseiller, permets-moi cette mise en garde : en admettant que tu aies vécu autre chose qu’un rêve cette nuit, cela ne t’autorise pas à te passer de l’avis de tes compagnons de route. Les ignorer te ferait courir un grave danger.

— Si tu le dis. Mon idée, c’était donc de trouver une destination intéressante.

— Dans quel sens ?

— Eh bien, qui pourrait m’… nous apprendre quelque chose.

— Tu n’as rien de plus précis en tête ? demanda Isis. Les Dieux m’ont imposé de t’accompagner, d’accord, mais jusqu’ici c’est particulièrement flou…

Venceslas fronça les sourcils, puis leva les yeux au plafond. Il ne dit rien pendant quelques secondes, avant de s’écrier :

— Je sais ! Allons dans un endroit radicalement différent !

Sans attendre la moindre réponse, il se dirigea vers la grande porte et l’ouvrit.

— Oh ! Merde…

Les trois autres accoururent, et comprirent immédiatement la cause de sa réaction. Ça n’était pas le couloir qu’ils connaissaient. Ou plutôt si, c’était bien ce couloir : large, lambrissé jusqu’à deux mètres de haut, après quoi les murs s’élevaient en se rejoignant dans des séries de voutes en ogive. L’épais tapis rouge protégeait toujours le parquet, et les tentures recouvraient toujours les parois.

Simplement, au lieu de donner sur des culs-de-sac et un immense escalier, le couloir s’étendait à l’infini, dans les deux directions.

— Et maintenant, chou, tu as une idée ?

— Je ne suis pas ton chou ! S’écria Venceslas.

Étrange, songea Isis. Jusqu’ici, ce sobriquet ne l’avait pas dérangé – elle avait même eu l’impression qu’il était plutôt flatté qu’une femme aussi sensuelle s’adresse à lui de cette façon.

Aya, elle ne disait rien. Choquée, elle observait le jeune homme en essayant de comprendre ce qui avait pu changer en lui. Celui-ci la regarda en retour, se mordit la lèvre et marmonna :

— Désolé. J’aimerais que tu ne m’appelles plus comme ça tant que… j’ai besoin de réfléchir.

Il détailla longuement la femme au masque, l’air complètement perdu dans ses pensées, puis son œil glissa sur Isis. Un instant, quelque chose dans son regard lui rappela un prédateur qui observe une proie potentielle. Elle frissonna, et se détourna vers Aya. Cette dernière semblait totalement égarée. Comment une simple demande pouvait la perturber autant ?

— Écoutez !, dit tout à coup Venceslas. Vous n’entendez rien ?

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