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L’Académie française ne sert à rien

Une réflexion sur l’écriture par Lisa Refur, publiée le .

Le 7 mai 2020, l’Académie française nous a gratifiés de deux articles dans sa section « dire, ne pas dire » qui nous prouvent, une fois de plus, qu’elle est complètement déconnectée de l’usage et du monde réel. « Pourquoi une institution publique profère de telles sottises ? », me suis-je demandé. Je me suis renseignée sur la composition de cette académie, comment elle fonctionnait et d’où venaient ses recommandations.

Avant cette enquête (c’est un bien grand mot), je pensais que l’Académie française était un organisme aux préconisations étranges et rétrogrades, pas très efficaces, mais qu’elle avait une certaine légitimité dans une défense d’une version « officielle » de la langue.

Maintenant, je sais que ça n’est pas le cas. L’académie n’a aucune légitimité, et d’ailleurs elle ne remplit pas ses missions. Sa parole n’a aucune valeur et ne devrait pas être prise en compte.

Aparté : l’Académie française est aussi connue pour des problèmes de gestion et de dépenses de l’argent public. Je ne m’y intéresse pas ici ; après tout, on pourrait imaginer qu’elle accomplit correctement sa tâche tout en dilapidant le bien commun. Je ne parlerai pas non plus de ses opinions politiques.

Quelles sont ses missions ?

D’après la page de l’Académie à ce sujet, ses missions en 2020 sont :

  1. La défense de la langue française
  2. Rédiger un dictionnaire

Et… c’est tout. Pourtant ses statuts précisent à l’article XXVI que :

Il sera composé un dictionnaire, une grammaire, une rhétorique et une poétique sur les observations de l’Académie.

Comme seul le dictionnaire existe encore, et que l’unique édition de la grammaire fut tournée en ridicule par ses utilisateurs, l’Académie ajoute en petite note cette pirouette qui lui permet de passer outre ses propres statuts :

Seul le Dictionnaire a répondu à cette instruction. C’est une œuvre continue, composée, non pas seulement sur les observations de l’Académie, mais par les académiciens eux-mêmes. La première édition a vu le jour en 1694. La neuvième est en cours de publication. Il a été établi une grammaire, parue en 1932, mais qui ne connut pas grande vogue. C’est le Dictionnaire en soi qui, par ses indications, apporte contribution à la grammaire et à la rhétorique.

Admettons. La poétique semble complètement ignorée, même dans cette justification.

Qui sont les académiciens ?

J’ai pris les fiches biographiques des 40 académiciens sur le site officiel et j’en ai extrait quelques statistiques. Les données proviennent de ces notices au 15 mai 2020, et sont sous réserve d’erreurs de saisie.

Leur démographie

Les académiciens sont de vieux hommes.

Sur 35 actuellement en poste, 5 sont des femmes, soit 14,3 % du total – la logique voudrait qu’on en trouve plutôt aux alentours de 50 %… La présence de cinq sièges vacants augmente pourtant ce chiffre, puisqu’ils étaient tous occupés par des hommes !

L’académicien type est vieux. Très vieux. Il a 78,6 ans en moyenne en 2020 (la médiane est à 79 ans fêtés en 2020, de 63 à 102 ans) ce qui est à peine moins que l’espérance de vie à la naissance pour un homme en 2020 en France.

Par contre, l’académicien type est en poste depuis pas si longtemps que ça : 13 ans en moyenne (médiane à 12 ans, de 0 à 31 ans) ; en fait c’est plutôt une occupation de retraité, puisqu’ils sont élus en moyenne à 65,5 ans (médiane 65,5 aussi, de 54 à 81 ans).

J’aimerais pouvoir écrire que la démographie de l’Académie française est celle d’une maison de retraite, ce qui m’est impossible : celles-ci comportent une majorité de femmes.

Leurs professions

Les notices biographiques des académiciens déclarent leurs professions (chacun peut en déclarer plusieurs). Les voici triées par occurrences. Le nombre entre parenthèses indique combien d’académiciens communiquent cette profession. Vu les missions de l’Académie, on pourrait s’attendre à y trouver des linguistes, lexicographes, grammairiens, scientifiques du langage, logiciens – toutes ces professions indispensables à la création d’un dictionnaire ; ainsi que des écrivains, journalistes, instituteurs, etc. utilisateurs-prescripteurs de la langue pour ce qui est de sa défense.

La réalité est légèrement différente :

Les professions renseignées en gras sont celles que je considère comme pertinentes pour les missions de l’académie. Je n’y ai inclus ni les historiens (parce qu’aucune des personnes concernées ne pratique l’histoire de la langue), ni les professeurs et universitaires, qui n’enseignent pas non plus dans ces domaines.

Pour être précise, beaucoup d’individus dont le métier déclaré n’est pas en relation directe avec la langue française ont néanmoins une formation solide en lettres. Il existe quelques exceptions, comme Jules Hoffmann, biologiste n’ayant jamais rien publié en français et sans aucune formation en ce domaine, et dont on peut se demander pourquoi il est à l’Académie française et non à l’Académie des Sciences.

Un peu plus des 2/3 des académiciens annoncent un métier qui les mène à être prescripteurs de la langue française (24 sur 35 en poste). Par contre, seulement deux d’entre eux sont à même de travailler sur le dictionnaire ! Quelle est la légitimité des autres à siéger dans cette académie ? Mystère. Il faudrait éplucher leurs notices biographiques pour comprendre ; parfois sans succès (cf. l’exemple ci-dessus). Et à l’occasion, ces notices contiennent absolument n’importe quoi, à l’image de celle d’Hélène Carrère d’Encausse :

[Elle] Compte parmi ses ancêtres de grands serviteurs de l’Empire, des contestataires du même Empire, le président de l’Académie des sciences sous Catherine II et trois régicides. Cette hérédité la prédisposait naturellement à l’étude de l’histoire et de la science politique […]

« Naturellement ». La carrière expliquée par l’hérédité. Mais je reviendrai sur ce genre de dérapage dans la suite.

Je me permets une digression parce que la chose m’a surprise. Ce qu’on lit en premier dans les notices biographiques, au-delà du nom, de la date d’élection, des numéros d’élection et de fauteuil, ça n’est pas les métiers. Ce sont les décorations. Et il y en a beaucoup, puisque les académiciens en déclarent trois en moyenne ou médiane ; seuls deux n’en communiquent aucune ; et deux déclarent sept décorations.

Le renouvèlement

On l’a déjà vu, la moyenne d’âge de l’académie est élevée. Rien d’étonnant à ce qu’il y ait cinq sièges vacants pour cause de décès.

Pourtant… un tel nombre de vacances montre que l’Académie française semble incapable de respecter ses propres règles en la matière :

La vacance d’un fauteuil – déclarée jadis dans la séance qui suivait la mort d’un académicien – l’est désormais au terme d’un délai de décence de plusieurs mois. Ce délai, fixé par l’Académie sur proposition du Secrétaire perpétuel, ne peut excéder une année, sauf dans des cas particuliers admis par l’usage pour des membres de l’Académie ayant exercé des charges spécifiques (Secrétaire perpétuel, doyens).

Jean d’Ormesson est mort le 5 décembre 2017, mais la vacance de son siège n’est toujours pas déclarée ; Max Gallo est mort le 18 juillet 2017, mais son siège n’a été déclaré vacant que le 20 février 2020.

Les règles de renouvèlement nous apprennent aussi ceci :

L’Académie procède à l’élection dans les trois mois qui suivent la déclaration de vacance.

Ainsi que :

L’âge limite pour se présenter à un fauteuil vacant est fixé à soixante-quinze ans à la date du dépôt de candidature.

La règle doit être récente, puisque trois membres actuels ont été élus aux âges de 77, 78 et 81 ans – sensiblement plus que les 75 ans et 3 mois autorisés par le règlement.

Que font les académiciens ?

Rédiger un dictionnaire

La dernière version du dictionnaire de l’Académie a été finalisée en 1935, soit il y a 85 ans. C’est trop pour un dictionnaire : beaucoup de mots du langage courant n’y sont pas, ou pas sous les définitions actuellement usitées.

Le site propose bien de « Rechercher un mot dans la 9e édition du dictionnaire », mais il y a deux pièges :

  1. Seuls trois volumes sont parus, de A à Quotité – impossible d’avoir une définition récente de tout mot au-delà dans l’ordre alphabétique.
  2. Les premiers tomes sont déjà anciens. Tout ce qui va de A à Enzyme date de 1992, avant la généralisation d’Internet, avec des définitions vieilles de 28 ans. Les mots de Éocène à Mappemonde ont été publiés en 2000, il y a 20 ans. La troisième tranche a été éditée en 2011, mais était obsolète à sa sortie : l’entrée Navigateur ne parle du sens informatique que dans un renvoi externe.

Le Dictionnaire de l’Académie, en plus d’être très long à sortir, est déjà caduc et déconnecté des usages en vigueur pour les parties censées être à jour. Ça n’est pas très étonnant quand on rappelle que dans les académiciens et académiciennes, seules deux personnes ont à priori les compétences nécessaires à l’écriture d’un dictionnaire.

D’ailleurs, qui compose ce dictionnaire en réalité ? Cette page du site nous apprend que le gros du travail est fait par des employés :

Pour remédier à la lenteur de l’élaboration de la neuvième édition du Dictionnaire, elle s’adjoignit des collaborateurs à partir de 1973. Ceux-ci constituèrent peu à peu le Service du Dictionnaire, qui déchargea la Commission de certaines tâches, telles que les recherches lexicographiques et documentaires ou la rédaction de projets d’articles.

Recruter des collaborateurs en 1973 n’a permis de sortir un premier volume que dix-neuf ans plus tard. Mais ça n’est pas tout, parce que si on recherche « Service du Dictionnaire » sur leur site pour essayer de comprendre qui le crée, on trouve surtout des offres d’emploi qui datent de 2013. Toutes, sans exception, demandent d’être « professeur aggrégé » (en lettres modernes, ou en sciences pour les parties scientifiques). De plus, cette organisation semble contrevenir aux statuts qui précisent, dans une note, que le dictionnaire est composé « par les académiciens eux-mêmes » (cf. supra).

Le Dictionnaire de l’Académie est donc intégralement rédigé par des personnes qui n’ont pas les compétences pour créer un dictionnaire. Pire : aucun des deux académiciens se présentant comme philologues (Mme. Barbara Cassin et M. Michel Zink), et seuls à avoir un métier en rapport avec l’écriture d’un tel ouvrage ne siège à la Commission du Dictionnaire.

Défendre la langue française

L’une des entités de l’Académie française les plus connues et à priori utiles au grand public est la section « Dire, ne pas dire ». C’est par ce biais que l’Académie diffuse les « bonnes pratiques » concernant la langue, dans un amalgame de réponses aux questions que tout un chacun peut lui poser, et de billets qu’elle a pris l’initiative de rédiger.

Vous connaissez toutes et tous cette section : c’est de là que viennent les conseils pour remplacer les anglicismes dont on parle régulièrement dans les journaux.

Cette rubrique pourrait être intéressante, si ce qu’on y trouvait satisfaisait une logique quelconque, et pas à un simple délire de vieux réactionnaires qui mélangent allègrement leur propre avis basé sur du rien, du mépris explicite du peuple, un appel systématique à l’ancienneté et une ignorance crasse de l’usage général. Je vais illustrer ça avec trois exemples récents qui montrent le niveau de cuistrerie qu’atteint cette section.

Exemple 1 : N’hésitez pas à utiliser une négation complète

Page publiée le 7 novembre 2019 qui nous explique qu’en français on devrait toujours utiliser la négation en deux parties (nepas).

L’usage de la première partie de négation se perd tellement à l’oral que même nos ministres ne l’utilisent plus : les « ne » ont été ajoutés à la transcription, mais ne sont pas prononcés.

Là où l’article devient vraiment étrange, c’est quand il commence à préciser que si c’est très mal de se passer de la première partie de la négation, on peut se passer de la seconde. Avec un argument d’autorité que je vous laisse savourer :

L’absence de ce second élément allège la phrase et lui donne un caractère presque évanescent.

Exemple 2 : Le covid 19 ou La covid 19

Page publiée le 7 mai 2020 sur une question qui devrait être résolue en deux lignes. Les linguistes ont l’habitude de dire « L’usage fait la loi », et toute la francophonie utilise le masculin depuis que cette maladie a un nom officiel, donc depuis le 11 février 2020.

Cela ne devrait pas poser de problèmes à l’Académie, qui revendique plusieurs fois le suivi de l’usage, notamment lorsqu’il s’agit de ne pas inclure certaines modifications orthographiques de 1990 dans son dictionnaire.

Et pourtant l’Académie se réveille près de trois mois plus tard, alors que l’usage est bien établi, en essayant de raisonner contre celui-ci. Et avec quels arguments ! L’argument du genre des mots utilisés dans l’acronyme a un côté logique, et une recommandation en ce sens juste après l’annonce du nom de la maladie, quand l’usage n’était pas encore fixé, aurait eu du sens.

Au milieu de l’argumentaire, on trouve un très joli dérapage antianglais avec cette incise :

notons que l’on aurait pu préférer au nom anglais disease le nom latin morbus, de même sens et plus universel

Le nom a été donné par l’OMS, une organisation internationale. Quelle logique, quelle règle ferait qu’en 2020 le latin serait « plus universel » que l’anglais – ou qu’une quelconque autre langue ? L’organisation et la maladie étant mondiales, le mandarin, l’espagnol, l’anglais ou l’hindi (les quatre langues avec le plus de locuteurs en tant que langue maternelle au monde) sont tous plus cohérents que le latin. Cette incise ne sert qu’à montrer que le rédacteur de ce texte est coincé dans un passé fantasmé et ignore tout des réalités internationales actuelles.

(Aparté : je ne sais pas si je dois me réjouir que, pour une fois, l’Académie défende l’usage du féminin ; ou si elle perpétue une longue tradition qui consiste à tordre le français pour que les termes négatifs soient au féminin…)

Exemple 3 : Followers

Le 7 mai 2020, l’Académie française a tenté quelque chose qu’elle adore faire : franciser un néologisme, en particulier un anglicisme – l’Académie française hait les néologismes et surtout les anglicismes, même s’il lui arrive de reconnaitre les utilisations correctes de mots pouvant passer pour tels, comme « déconfiner »).

Là encore, l’usage est évident, et le terme se traduit presque partout en français par abonné, ce qui est un nom existant, simple et une bonne interprétation du concept, qu’il suffisait d’entériner.

Pour ce faire, il aurait fallu s’intéresser à l’usage ; or c’est un terme qui ne s’emploie que dans le contexte des réseaux sociaux. Un monde moderne, très loin de l’univers de nos académiciens. Qui se permettent donc de partir complètement en roue libre.

On commence par un contresens sur le terme :

Ce dernier s’emploie essentiellement en français pour désigner ceux qui, par quelque moyen électronique, signalent qu’ils adhèrent à la pensée ou aux actions de tel ou tel,

Un follower de quelqu’un sur un réseau social, c’est quelqu’un qui s’abonne à son fil d’actualité, qui suit les nouveautés publiées par cette personne. Il n’y a aucune notion d’adhésion à la pensée de la personne suivie.

Puis vient un jugement de valeur :

la valeur de ces dernières semblant être indexée sur leur nombre de followers.

Puis d’un exemple complètement sorti de son contexte :

Ainsi, il y a peu, un philosophe, essayant de penser la complexité du monde, se faisait fréquemment interrompre par le « combien avez-vous de followers ? » de la journaliste qui l’interrogeait

L’auteur continue avec un joyeux mélange d’appels à Staline (!) et à la religion pour dénigrer le plus complètement possible le terme qu’il est censé traduire :

Faut-il croire alors que, s’il revenait, le « petit père des peuples » poserait cette question : Le pape, combien de followers ?

Enfin, l’auteur fort de sa haine contre le concept et de sa mécompréhension totale de ce qu’est un follower sur un réseau social, se lance dans un long argumentaire dans lequel il reprend une dimension religieuse pour arriver à cette conclusion épique :

Acolyte des illustres, tel semble être l’équivalent de notre moderne follower.

Comment voulez-vous que l’on suive des « avis » d’un ridicule aussi achevé ? On devrait avoir un conseil sur la langue, on obtient les élucubrations d’un réactionnaire qui n’a pas compris ce dont il parle !

Et tout est comme ça. Pas toujours si violent, mais l’immense majorité de ces contenus sont des pseudojustifications ne reposant sur rien, puisque la linguistique et toute l’étude contemporaine des langues sont ignorées, l’histoire n’est utilisée qu’au travers d’un prisme bizarre fantasmagorique qui met la langue française au centre de l’Univers, et l’usage est complètement méprisé sauf quand il correspond aux idées du rédacteur. Et on en trouve dans toutes les sections du site (cf. la notice biographique dont je parlais plus haut).

Pour aller plus loin

Si le sujet vous intéresse, je vous conseille cette vidéo de la chaine Youtube Linguisticae, il y développe en plus tous les aspects politiques et financiers dont je n’ai pas parlé ici :

Le titre est provocateur, mais le propos est passionnant et bien documenté.

En conclusion

L’Académie française, c’est donc un dictionnaire périmé écrit par des gens qui n’ont pas les compétences pour rédiger un dictionnaire ; et le soutien d’une langue française fantasmée, déconnectée de l’usage et qui ne s’appuie sur aucune justification. Elle prétend expliquer des règles à tous les francophones, mais n’est pas capable de suivre les siennes, pas même ses propres statuts.

Écrivaines, écrivains, institutrices, instituteurs, journalistes, vous qui possédez un rôle de prescriptions quant à la langue française : arrêtons d’utiliser l’Académie française comme référence.

Cette institution doit revenir à la place qu’elle s’est forgée : un club du troisième âge pour réactionnaires qui inventent leur propre version du bon usage basée sur du vent. Et quitte à défendre des modifications de la langue contre l’usage, autant le faire sur des bases logiques.

Postscriptum : lors de la correction de ce texte, Antidote a principalement râlé sur… les citations de l’Académie ! (cascades de compléments, mauvais usage des majuscules, phrases alambiquées que le logiciel n’arrive pas à traiter…)

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