Aujourd’hui, je ne sais pas quoi vous raconter. Ça n’est pas la fameuse « angoisse de la page blanche » – une page blanche n’est pas inquiétante, c’est au contraire un formidable terrain de jeu qui ne demande qu’à être couvert d’idées et d’actions. Tout simplement, aujourd’hui, je ne sais pas quoi vous raconter.
Au temps glorieux des blogs BD, il m’aurait suffi de vous poster une photo ou un dessin de mon chat. Mais l’astuce fonctionne beaucoup moins bien sur un support purement textuel, encore que l’on puisse faire l’expérience. Imaginez le plus beau, le plus mignon, le plus soyeux et le plus gentil chat qu’il vous est possible de concevoir. Voilà, c’est le mien, n’est-il pas formidable ? Si d’aventure vous avez imaginé un autre chat, j’ai le regret de dire que vous êtes dans l’erreur, ou que vos gouts méritent d’être remis en question.
Voilà, ça vous plait ? Non ? Bien, je ne vous sens pas convaincus par l’expérience, et je vous avoue que de mon côté je la trouve décevante.
Une autre technique était d’écrire ou dessiner une note de blog pour dire qu’on n’avait pas d’idée ; quelques petits malins ont écrit des billets dans lesquels ils expliquaient qu’ils pourraient écrire une note dans laquelle ils expliquaient qu’ils n’avaient pas d’idée. Je pourrais pousser le concept de métanote un peu plus loin, mais cela serait vite incompréhensible, sans compter le risque de récursion infinie. Donc, laissons cette idée de côté.
Alors quoi d’autre ?
Je pourrais faire comme trop d’auteurs, et étaler ma vie privée ou mon enfance sur des pages et des pages, parler de moi, de moi-même et d’encore moi, et peut-être gagner un prix prestigieux dans la foulée. Je doute que le résultat vous plaise tant il serait inintéressant.
Je pourrais aussi récupérer l’un de mes anciens textes et le réécrire avec quelques modifications de contexte, et hop ! Une nouvelle nouvelle toute fraiche. Mais ma carrière n’est pas assez longue pour tomber dans la redite, et je n’ai pas la prétention d’avoir le talent de Raymond Queneau pour écrire un livre entier avec quatre-vingt-dix-neuf fois la même histoire dedans. Encore une impasse.
Enfin, il me serait possible de vous pondre une romance ultraformatée, imbibée de litres d’eau de rose, de sexualité malsaine, et probablement des deux. Je pourrais même vendre cette histoire, on en achète des caisses entières. Je vais même vous dévoiler un secret : la plupart des écrivains francophones que vous admirez ont écrit ce genre de roman, sous pseudonyme, parce qu’on peut en vivre. Mais non, de romance point ce soir.
Je ne sais toujours pas quoi vous raconter. C’est comme si les mots étaient écrits avec du savon sur une feuille détrempée ; ils sont là, ils ont été créés, mais s’estompent aussitôt dans un flou inutile.
À moins que…
À moins que tout ceci ne soit qu’une manipulation. C’est crédible : le travail d’auteur, c’est précisément d’influencer le lecteur pour qu’il ressente exactement ce que l’on veut qu’il éprouve. Dès lors, comment faire confiance à un auteur dans son texte ?
J’aurais pu avoir prévu d’écrire un texte dans lequel je prétendrais n’avoir aucune idée, uniquement pour le plaisir de vous entrainer dans une série de réflexions qui ne mènent à rien, et en profiter pour glisser quelques critiques pas très discrètes au passage. Une sorte de double maléfique de la note qui dit qu’on a pas d’idée, mais ici avec l’idée de faire semblant de ne pas avoir d’idée. Après tout, quelque chose d’aussi tordu est possible, c’est mon métier d’autrice de vous mentir. Et oui, on dit « autrice », qui est un féminin bien formé et attesté depuis des siècles, et pas « auteure », qui n’est que le mot « auteur » vu par quelqu’un qui a un chat dans la gorge – comme quoi tout revient toujours aux chats.
Évidemment, il est toujours possible qu’en réalité, je n’eusse pas d’idée.
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