Il était une fois, dans un pays très lointain, une fillette de cinq ans qui s’appelait Miyu. Par un bel après-midi, elle longeait la plage à vélo. C’était l’une de ses activités favorites : parcourir le voisinage à bicyclette.
En arrivant près de la mangrove, elle aperçut une fleur rouge et brillante, au pied d’un arbre. Miyu appuya son vélo contre un palmier et s’approcha. C’était un coquelicot, mais fait de bois, de métal et de tissu rouge vif pour les pétales. Il s’était embourbé dans la vase.
— Bonjour, dit le coquelicot.
— Bonjour, répondit la fillette.
Elle était très surprise que le coquelicot lui parle, parce que d’habitude les plantes ne parlent pas, mais Miyu était une petite fille polie qui répondait quand on lui disait bonjour.
— Est-ce que tu pourrais m’aider ? demanda le coquelicot.
— Bien sûr, mais comment ?
— En me sortant de cette vase puante, pour commencer. Avant que ce crabe ne m’attaque.
— Tu es un très joli coquelicot, mais tu n’es pas très poli.
— … s’il te plait ?
Miyu se s’accroupit et sorti le coquelicot de la vase sous l’œil surpris d’un poisson-grenouille.
— Pourquoi tu avais peur du crabe ? demanda Miyu. Il ne peut pas te manger, tu n’es pas une vraie plante.
— Oui, mais lui ne le savait pas.
— Et comment tu fais pour me parler ?
— Tu me parles, fillette, et pourtant je ne trouve pas ça bizarre.
— Oui, mais toi tu es une plante. Les plantes ne parlent pas.
— Peut-être que d’habitude, elles n’ont rien à te dire.
— Oh.
— J’aurais besoin que tu me rendes un autre service. S’il te plait.
— Lequel ?
— Il doit y avoir près d’ici un serpent. Il faut le retrouver, c’est très important. C’est lui qui a la manette pour me piloter.
— Comment ça ?
— Regarde bien. Je suis une fleur téléguidée. Sans cette manette, je ne peux pas me déplacer.
Miyu regarda la fleur d’un peu plus près. Elle était munie de six petites roues, à moitié enfouies sous la couche de vase. Une antenne métallique dépassait entre deux feuilles.
La fillette entendait les voix de ses parents et de son petit frère, derrière les arbres. Le soleil était encore haut. Elle avait le temps de chercher le serpent.
Bientôt, Miyu aperçut quelque chose qui scintillait en haut d’un cocotier. C’était un long serpent de métal, lové contre les noix de coco.
— Bonjour, monsieur le serpent. Est-ce que c’est toi qui aurais la manette pour téléguider cette fleur ?
— Bonsssoir, fillette, répondit le serpent de sa voix sifflante. Ccc’est bien moi qui ait cccette manette, pourquoi ?
— Est-ce que tu pourrais lui rendre ? Elle en a besoin.
— Absssolument hors de question.
— Pourquoi ?
— Parccce que ccc’est ma manette. Cccette fleur m’appartient. Et je n’accccepterai de la téléguider de nouveau que sssi elle sss’excuse et me remonte.
— Mais tu es déjà en haut de l’arbre !
— Non. Me remonter comme une horloge. Je sssuis un ssserpent mécanique.
— De toute façon, cria le coquelicot, je ne m’excuserai jamais !
— Alors tu ressstera ici, immobile jusqu’à la fin des temps !, répondit le serpent.
— Toi aussi, puisque tu n’auras plus personne pour te remonter, bougonna la fleur.
— Arrêtez de vous disputer !, cria Miyu. Expliquez-moi ce qui se passe !
Le serpent et la fleur parlèrent très vite, très fort et en même temps. Cependant, Miyu comprit que le serpent était un serpent mécanique qui avait besoin d’être remonté de temps en temps pour fonctionner. Comme il ne pouvait pas se remonter lui-même, il s’était fabriqué une fleur télécommandée. Une plante fonctionne à l’eau et à la lumière du soleil : elle pourrait le remonter quand il en aurait besoin. La télécommande permettait au serpent d’emmener sa plante avec lui. Et en plus elle était jolie. La raison de leur dispute était floue, et plus aucun des deux ne se souvenait vraiment de sa cause.
— Pourquoi tu n’as pas utilisé des piles ? demanda Miyu au serpent.
— Absssolument imposssible, répondit-il. Les piles sssont trop rigides pour moi qui sssuis très sssouple.
— Il ne pourrait pas en acheter de nouvelles, ajouta le coquelicot. Il n’a pas d’argent humain.
— Sssans parler de la pollusssion, continua le serpent.
— Aucun humain n’accepterait de lui vendre des piles, dit le coquelicot. Il leur fait peur. Alors que moi, je suis beau.
— Créer le coquelicot téléguidé était la meilleure sssolution, affirma le serpent.
— Je suis d’accord, dit le coquelicot.
— Vous voyez ? intervint Miyu. Vous êtes d’accord. Vous avez besoin l’un de l’autre. Vous ne savez même plus pourquoi vous vous disputez.
Ils protestèrent.
— Vous êtes idiots tous les deux, à vous chamailler alors que vous êtes amis. Coquelicot, tu dois t’excuser et remonter Serpent. Et Serpent, il faut que tu t’excuses aussi et que tu téléguides Coquelicot.
Les deux automates se regardèrent, puis regardèrent Miyu. Ils se faisaient disputer par une humaine. Une petite fille. Le pire, c’est qu’elle avait raison. Ils s’étaient conduits comme des idiots.
Alors ils s’excusèrent et se pardonnèrent. Le serpent réactiva la télécommande de la fleur, le coquelicot remonta le serpent, et ils s’en furent en suivant la plage.
— Miyu ! Qu’est-ce que tu fais ? On s’en va !
Ça, c’était les parents qui s’inquiétaient.
— J’arrive ! répondit Miyu.
Elle enfourcha son vélo et pédala vers le parc.
— Te revoilà, dit sa mère. Qu’est-ce que tu fabriquais ?
Miyu réfléchit un instant avant de répondre :
— Rien de spécial.
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