C’était un long bâtiment de style haussmannien, haut de six étages comme il se doit, parfaitement intégré dans son environnement. Tout le monde savait qu’il n’était pas là la veille, et personne ne savait ce qu’il pouvait y avoir à cet emplacement auparavant et chacun s’appliquait à faire comme s’il avait toujours été présent.
Sa façade proclamait en immenses lettres dorées : « Musée des espoirs ». La nouvelle fit très vite le tour du quartier, de la ville et du pays : en ces temps troublés, l’espoir était une denrée rare et fort convoitée. Selon les écriteaux, à l’entrée on pouvait l’admirer ici, de neuf heures trente à dix-sept heures tous les jours, sauf les mardis, pour une somme tout à fait modique.
Il ne fallut qu’une semaine pour que les visites guidées soient complètes, liste d’attente comprise. Le musée fut bondé le premier weekend ; le second une file d’attente serpentait devant les caisses et s’étirait dans les rues alentour, sur plusieurs centaines de mètres : une foule impatiente, heureuse de profiter, ne serait-ce que par procuration, d’un peu d’espoir.
Les futurs visiteurs se répartissaient entre trois catégories. Les personnes qui voulaient s’éblouir du plus beau contraste, et se gavaient de nouvelles déprimantes avant de pénétrer dans les locaux – on les repérait aisément à leur lecture compulsive des rubriques des « faits divers ». Celles qui préféraient se mettre en condition, et s’imaginaient leur propre musée personnel avant la visite. Et quelques personnes, finalement assez rares, qui se délectaient de la découverte à l’état pur, et qui se forçaient à penser à autre chose jusqu’à l’instant d’entrer.
Les bienheureux qui avaient réussi à réserver une place pour une visite guidée étaient accueillis par un grand jeune homme longiligne, qui les promenait dans les salles en les abreuvant d’explications passionnantes et d’anecdotes croustillantes.
L’on passait des espoirs déçus aux espoirs oubliés, l’on visitait la salle des grands espoirs – sportifs, musicaux et autres ; l’on déambulait dans l’aile des espoirs de guérison ou à l’étage des bons espoirs. Les plus curieux visitaient l’exposition annexe sur les signes d’espoirs. Partout, le système de sonorisation laissait échapper de discrètes notes d’espoir.
La fin de l’exposition faisait place aux innovations, avec un porteur d’espoir dont chacun espérait qu’il puisse arriver chez lui un jour, et divers systèmes permettant de s’accrocher à l’espoir.
Et l’on finissait sur une immense salle où trônait un espoir d’un monde meilleur haut de trois étages, que l’on pouvait admirer sous toutes les coutures. Cette dernière attraction était si populaire que les gardiens du musée étaient souvent obligés de sortir des visiteurs de force, le soir à la fermeture.
— Mais tout ceci n’est-il pas vain ? demanda un jour une vieille dame au guide. Tous ces espoirs ne sont qu’illusion, et tous ou presque ne mèneront jamais à rien sinon qu’à des rêves déçus, des regrets et des déceptions. Tout ceci semble beau et bien, mais n’est que la graine de malheurs.
— C’est peut-être exact, madame, répondit le guide, et les rêves déçus sont sans doute les ombres de bonheurs espérés, fugaces et insaissables. Mais si une chose est certaine, c’est que l’espoir fait vivre.
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