Julien regarda par-dessus son épaule. Perchée peu plus loin, la créature lui signifia son assentiment d’un hochement de tête. Rassuré, le jeune homme termina d’enfiler sa combinaison de néoprène et vérifia une dernière fois son équipement de plongée. Bouteilles, manomètres, calculateur, tables de décompressions spéciales pour plongée en lac d’altitude…
Il détestait plonger seul, mais cette expérience était si étrange qu’il n’avait pas d’alternative. Dans le coin de son œil, la créature le regardait, le surveillait peut-être. C’était un canidé d’une taille intermédiaire entre le loup et le renard, parfaitement blanc et nimbé de flammes éthérées d’un cyan soutenu. Une sorte d’ange animal, un messager d’une divinité païenne oubliée, un reliquat d’une ancienne religion de cette vallée perdue.
Cette créature sans nom (« les noms sont des attributs des dieux et des humains, et je ne suis ni l’un ni l’autre ») lui avait confirmé la véracité d’une légende ancienne : entre ces montagnes se nichait un lac dans lequel habitait une Dame. Un homme qui viendrait lui dire les mots sacrés se verrait remettre une épée de grand pouvoir.
Julien était très intéressé par cette histoire et était bien décidé à rencontrer cette fameuse Dame du Lac, pour un faisceau de raisons qui incluait l’amour du pouvoir, la curiosité, l’attrait des légendes exotiques (bien qu’il ait connu plus original que celle-ci) et, au pire, la promesse d’une plongée mémorable.
Car trois décennies plus tôt, le lac de la légende et le village qui le bordait avaient été noyés par la création du Grand Barrage d’Escran, le plus grand de toute la chaine. Sa première aventure avait été de réunir les autorisations et de trouver le bon créneau météo…
Enfin, Julien plongea.
Le clocher de l’église. Le bâtiment massif de l’ancienne mairie. Suivre la grande rue – la seule vraie rue – jusqu’à l’ancienne rive, maintenant à trente mètres de fonds.
Le débarcadère sur le lac. À cinquante mètres en face, contourner l’anse. Faire face au pavillon sur le lac (sous le lac, maintenant), la grotte qui était censée abriter la Dame était juste en dessous.
Il y avait bien un renfoncement à l’endroit indiqué. Julien vérifia ses niveaux d’oxygènes (il était large), alluma sa puissante lampe et s’engagea dans le conduit.
Un peu plus loin, le faisceau lumineux accrocha quelque chose de brillant.
* * *
La créature attendait toujours assise sur son rocher, la queue enroulée autour des pattes, lorsque Julien émergea de l’eau, épuisé, transi de froid malgré la combinaison.
Il jeta un morceau de métal rouillé sur la créature qui l’esquiva avec grâce.
— Tu t’es bien foutu de ma gueule, sale bête ! éructa le jeune homme. Voilà tout ce que j’ai trouvé en guise d’épée de pouvoir ! Un vieux morceau de métal rouillé accroché à la main d’un squelette ! J’ai failli vomir dans mon masque !
— Allons, dit la créature, n’as-tu pas trouvé ce que je t’avais indiqué ? J’entends de ta bouche que si. Tu devrais sauter de joie malgré tes palmes. Et puis, franchement, est-ce bien raisonnable de traiter ainsi des reliques antiques ?
— Tu m’as menti ! La Dame était morte et l’épée rouillée !
— Mais, dit la créature en inclinant la tête, ai-je jamais prétendu le contraire ?
comments powered by Disqus