Le magicien invita la Kitsune à descendre. Elle semblait moins nerveuse, plus à l’aise, mais maintenait toujours une distance méfiante avec son hôte. La renarde observa les alentours, humant l’air chaud et humide. Un sourire en coin se dessina sur son visage, sans parvenir à l’illuminer.
— Je vois que vous connaissez, vous aussi, les nœuds de puissance magiques de cette forêt, dit-elle. Ce que je m’explique moins, c’est l’intérêt de vos ajouts à cette clairière.
— Ceci est, dit l’homme en désignant l’ensemble du matériel, un amplificateur magique ; une nouvelle technologie qui, couplée aux capacités intrinsèques des lieux, me permettra de contrer la force qui régente votre blessure.
— Fort bien. Alors, commençons.
Sans attendre la réponse de Troisième-Fils, Rouge se dirigea vers l’hexagone de pyramides. Sur les instructions du magicien, elle s’assit en tailleur au centre de l’installation. Elle grimaça de douleur dans la procédure, mais refusa toute aide. Une fois installée, sa canne posée en long sur ses genoux, elle dit :
— Magicien Troisième-Fils Petite-péninsule-de-palais, faites ce que vous avez à faire. J’espère que ce que vous avez prévu valait le déplacement.
Alors l’homme leva les bras, et les pyramides s’illuminèrent d’une puissante lumière blanche. Rouge, aveuglée, ferma les yeux et baissa la tête. Ils restèrent ainsi, immobiles. Les longues secondes s’étirèrent en minutes, pendant laquelle la lumière pulsait sur un rythme incompréhensible ; seuls les légers mouvements de poitrine des deux protagonistes trahissaient qu’ils respiraient encore, mais à peine. À part ceci, rien ne bougeait dans la clairière, pas même les feuilles des arbres, pas même les rubans qui retenaient les cheveux de Rouge, pas même le plus petit moucheron. Les explorateurs eux-mêmes se turent.
Enfin, le magicien ramena ses mains l’une contre l’autre, et toute lumière disparu de l’installation. La Kitsune ne bougea pas, ses yeux clos fixant toujours le sol.
— Debout, Rouge !
La renarde se leva d’un mouvement fluide et gracieux. Mais si sa jambe semblait guérie, ou au moins ne la gênaient plus, si elle avait conservé une prestance indéniable dans sa façon de se mouvoir, son regard restait baissé et éteint.
— Viens ici.
Elle avança vers le magicien-soigneur, d’un pas délicat mais hanté d’un je-ne-sais-quoi mécanique. Sa canne, ancien indispensable soutien, n’était plus qu’une gêne pour elle.
— Prosterne-toi, ma Source.
Rouge obéit sur-le-champ, achevant de tacher de boue ses soieries.
— Excellent, murmura le magicien.
Puis, à voix haute :
— Relève-toi. Parfait. Suis-moi.
Ce qu’elle fit. Sur le trajet qui les ramenait au palanquin, la Kisune observait son environnement ; elle pouvait le découvrir comme elle pouvait en vérifier des détails qu’elle seule percevait, aucun des explorateurs ne fut capable de préciser son but. Elle croisa brièvement le regard de Barnabé, un sourire aux lèvres.
— Elle m’a vu ! J’en suis certain, elle m’a vu, et elle me l’a signifié !
— Mon cher ami et néanmoins collègue, tu fabules, lui rétorqua Évangelina. C’est impossible, tu le sais, et on en a déjà discuté tout à l’heure.
Nicolas cessa d’observer la renarde.
— Je ne serais pas aussi catégorique. Ça aussi on en a déjà parlé, en fait. Et je tiens à signaler qu’elle n’a pas perdu tous ses pouvoirs. Elle dégage toujours une odeur spécifique… et je doute que tout magicien qu’il soit, Troisième-Fils Petite-péninsule-de-palais l’ait remarqué. C’est en-dessous de vos piètres capacités olfactives, à vous autres humains.
— Ça pourrait expliquer les fantasmes de Nab, non ?
— En effet.
— Ce ne sont pas des fantasmes ! Je sais ce que…
— Rien n’est sûr pour l’instant, coupa Lina. Ces spéculations sont inutiles, suivons-les plutôt ou nous allons les perdre.
Enfin ils arrivèrent au domicile du magicien. Là, il ordonna à Rouge de sortir du palanquin et de le suivre dans ses appartement. La jeune femme obtempéra avec une grâce quelque peu perturbée par des saccades dans ses mouvements. Bien qu’inutile à présent, elle avait conservé sa canne, qu’elle serrait tellement fort dans sa main que les jointures de ses phalanges blanchissaient.
L’homme, lui, donnait congé à tous ses domestiques. Il semblait plongé dans ses pensées, un sourire inquiétant suspendu à ses lèvres. Peut-être peaufinait-il les détails de son emprise sur la Kitsune ?
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