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Rouille & Féérie

Un texte de SpaceFox, publié le .

Onæce était, comme à son habitude, en train de courir entre les tuyaux tuyaux de la vieille usine, quand une lumière bleue l’inter­pella. Étrange couleur que ce bleu dans cet univers de rouille et de vapeurs toxiques et jaunâtres ; aussi la jeune fille s’empressa de chercher la source de cette bizarrerie. Elle fouilla seulement quelques instants avant de tomber sur un superbe conglomérat de délicats cristaux qu’on aurait cru ciselés dans le plus fin des des saphirs ; l’un des rares pâles rayons de soleil de l’année se ré­fractait directement dessus, produisant ainsi la lumière qui avait tant intriguée la fillette.

Elle essaya de s’emparer de l’un des cristaux, mais leurs arrêtes extrêmement tranchantes entaillèrent ses doigts, faisant perler quelques gouttelettes de sang qui, en roulant dans les inter­stices de l’agrégat, illuminèrent les tuyaux environnants de cen­taines de caustiques de toutes les nuances imaginables de rouges et de bleus.

C’était indubitablement sublime, mais était-ce une splendeur qui de­vait rester son jardin secret, ou devait-elle profiter à qui­conque ? Telle était la question que la jeune fille se posait, alors que les derniers rayons du soleil flamboyaient dans le ciel.

*    *    *

« C’est… sublime », dit Fghnor en avançant la main vers la masse de cristaux. La fillette saisit le bras de son jeune ami avant qu’il ne touche la masse bleue et tranchante des cristaux, puis lui expli­qua la dangerosité de la chose.

« Étrange que quelque chose de si beau puisse être dangereux », su­surra le jeune homme, en contemplant les multiples rais de lu­mière bleue et verte que provoquaient sa torche sur la rouille des tubu­lures alentours.

« Les gens seraient prêts à payer cher pour voir ceci », confia-t-il à son amie. « Sur un autre sujet : d’où viennent ces superbes gants ? Je ne t’avais jamais vue avec !

On me les a offerts », hésita la jeune fille, avant de changer de sujet de conversation.

Fghnor loucha. Comme lui, Onæce n’avait aucune famille, et les habi­tants de l’usine étaient bien peu enclins à faire des ca­deaux.

*    *    *

« Dépêchez-vous, mesdames et messieurs ! Demain ce ne sera plus gra­tuit ! Venez admirer la plus belle merveille jamais présentée dans toute l’usine ! »

Fghnor cessa momentanément de s’époumoner pour jeter un coup d’œil circulaire. Les visiteurs se pressaient dans la petite clairière aménagée par le garçon dans la forêt de tuyaux, et tous s’émer­veillaient devant les cristaux azur et les formes lumi­neuses qu’ils projetaient. Malgré le grillage qu’il avait instal­lé pour empêcher que les gens ne se blessent en touchant les ar­rêtes, l’opération était un succès total.

Le lendemain promettait d’être lucratif ; pour la première fois de­puis longtemps Fghnor n’aurait pas à voler sa nourriture. Onæce non plus, il lui devait bien une part des revenus puisque c’est elle qui lui avait montré les cristaux.

C’est alors que le jeune homme remarqua l’absence de son amie. Il lui connaissait des tendances agoraphobes, mais il n’imaginait pas qu’elle puisse ne pas venir à l’inauguration de leur projet.

Exténué par sa journée, il n’eut pas le temps de la chercher avant de s’endormir.

*    *    *

C’est le surlendemain que le Sage de l’usine leur fit l’honneur de sa visite. Pendant une heure, il fit jouer les rayons du so­leil à travers sa loupe et les cristaux, provoquant un festival d’ara­besques colorées dans les vapeurs de la pièce et sur la rouille des tuyaux.

« Je crois pouvoir expliquer l’origine de ces cristaux, » dit-il en­fin de sa voix lente et éraillée. Onæce toussa dans son poing ganté.

« Je ne voudrais pas vous contredire, mais… Nous avons la chance d’avoir cette chose magnifique… Ne serait-il pas dommage de la ré­duire à un simple phénomène scientifique ? »

Le Sage réfléchit un instant.

« La beauté du mystère. Tu as sans doute raison, ma petite, par­fois il vaut mieux se taire. »

*    *    *

Les jours suivants s’approchaient du paradis ; beaucoup de per­sonnes ve­naient s’émerveiller devant ce spectacle rarissime, de nouveaux cristaux poussaient sur la cage, ajoutant à la magnifi­cence des mar­brures colorées, et le Sage avait fait déplacer quelques tuyaux pour que les rayons solaires soient plus pré­sents.

« Cet univers sinistre a besoin de distraction et de beauté », avait-il déclaré au moment de partir, « et les motifs solaires sont infiniment plus esthétiques que les motifs de lampes ».

Malgré le manque de protections il n’y avait que peu de coupures à déplorer, et quand il y en avait les jeux de lumière ravis­saient suffisamment les visiteurs pour qu’ils en oublient leur douleur.

*    *    *

Fghnor commençait à s’inquiéter sérieusement, cela faisait mainte­nant six jours que son amie n’était pas venue. Il ferma donc plus tôt et chercha son amie, qu’il trouva couchée en chien de fusil là où elle avait l’habitude de dormir, enroulée dans un simple drap. Le garçon s’approcha et fut surpris de trou­ver Onæce ruisselante de sueur, la logique aurait été qu’elle fût grelot­tante. Il s’age­nouilla près d’elle et s’enquit de son problème.

Elle leva sur lui un œil atone. « Ça brûle…, articula-t-elle, ça devient dur et ça me brûle… »

Elle souleva lentement son bras droit. À travers les mul­tiples en­tailles du gant on apercevait des formes anguleuses, d’un bleu as­sombri par le manque de lumière mais néanmoins immédiatement recon­naissable.

Fghnor en resta abasourdi. Il s’interrogeait sur ces mystérieux cristaux quand la fillette fut prise d’une violente quinte de toux ; par réflexe, elle mit son poing devant sa bouche, et immé­diatement une foultitude de minuscules cristaux bleus fusèrent à travers la pièce, blessant le jeune homme aux jambes et au vi­sage. Il tenta d’articuler quelque chose puis s’enfuit.

*    *    *

Les habitants de l’usine ne comprirent pas immédiatement pourquoi l’accès aux cristaux était soudainement gratuit, mais ils ne s’en plaignirent pas.

Il se passa cinq jours avant que Fghnor ne décida d’aller présen­ter ses excuses à Onæce. Il réussit à vaincre la fièvre et à se traîner jusqu’à elle, mais il était trop tard. Les cristaux qui consti­tuaient maintenant ses oreilles ne lui permettaient plus d’entendre quoi que ce soit.

*    *    *

Le soleil d’été s’écrasait sur les grandes structures cristallines qui dépassaient des bâtiments, projetant de grandes stries bleues à plusieurs kilomètres alentours.

« Attention les gars ! Ce truc est dangereux, ne touchez à rien, sous aucun prétexte ! »

Le groupe de cinq homme entra prudemment dans l’usine.

« Chef, ce truc est superbe ! On doit vraiment le faire cramer ?

Les ordres sont les ordres ! Et tu veux vraiment savoir le pour­quoi du comment de cet ordre ?

Affirmatif, chef. Ce truc a sa place dans un musée, et je ne détrui­rai pas un musée sans bonne raison.

Bien. Tu vois ces grands blocs de cristaux, là-bas ?

Affirmatif, chef.

C’étaient des types comme toi et moi. Y’avait même des femmes et des enfants. Tu comprends maintenant ?

Affirmatif, chef. »

Sur ce, le groupe repris sa longue et dangereuse besogne.

*    *    *

– Archéologie –

Le professeur T. Sturgeon a découvert un mystérieux agglomérat de cristaux cyan sombre. « C’est la plus belle découverte de toute ma vie », a-t-il raconté à notre reporter, « belle parce qu’il s’agit d’une découverte extrêmement importante, mais aussi parce que ces cristaux sont beau, intrinsèquement. Vous devriez voir les superbes jeux de lumière qu’on arrive à en tirer ».

L’origine exacte de ces cristaux reste inconnue, tout comme leur na­ture exacte ; des spécimens sont en cours d’analyse dans divers laboratoires.

« Je pense néanmoins que ces cristaux ont été fabriqués », nous précise le professeur, « nous avons trouvés avec ces cristaux les restes de quelque chose qui ressemble beaucoup à une ancienne usine. Mais il ne s’agit évidemment là que de pures supputa­tions. »

*    *    *

« Professeur ! Professeur ! »

T. Sturgeon se tourna vers son assistante. Une de ses mains était bandée et dégouttait de sang, l’autre tenait un pinceau.

« Je voulais vous prévenir de faire attention avec ces cristaux, ils sont extrêmement coupants.

Je sais, Naya. Merci quand même. »

À nouveau seul, le professeur enleva délicatement le bandage qui re­couvrait sa main gauche. La tache bleue qui entourait sa blessure n’avait pas disparue en trois jours, loin de là. Elle commençait à se durcir, « À cristalliser, pour être exact », déclara-t-il à un hypothétique acolyte.

— FIN —

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