menu

09 – Aliens aliénés

Un épisode de l’Inktobre 2020 de Lisa Refur, publié le .

La soucoupe volante apparut dans le ciel de Washington, erra quelques instants et se posa sur la pelouse Sud de la Maison-Blanche. C’était une soucoupe volante conforme à tous les clichés habituels, avec ses dix mètres de diamètre, ses trois mètres de haut, son revêtement métallique brillant, ses petits hublots ronds et ses trois longs pieds métalliques qui s’enfonçaient doucement dans l’herbe roussie.

Cinq secondes après son atterrissage, une nuée d’agents des services secrets, de militaires de toutes les armées et de membres du renseignement convergeaient vers le site, tandis que les responsables de la sureté aérienne étaient limogés pour n’avoir pas détecté l’intrusion. Dans le Bureau Ovale, le président oscillait entre la peur et la joie : il craignait d’être assassiné – les fictions adoraient les histoires d’envahisseurs d’outre-espace qui détruisent la Maison-Blanche. Heureusement, ils n’avaient pas l’air de vouloir attenter à sa vie, pas pour l’instant. Mais il était aussi heureux de constater que, quels qu’ils fussent, ces extraterrestres avaient su détecter immédiatement qui était la personne la plus importante de cette planète, c’est-à-dire lui.

Une longue rampe sortit à la base de la soucoupe, et deux êtres sortirent de l’engin. C’était de petits humanoïdes d’un mètre trente environ, au teint vert chlorophylle, parfaitement glabres et à la tête étrangement ronde et grosse. Ils étaient habillés de costumes militaires noirs dont les galons dorés s’ornaient de pas moins de neuf étoiles. Leurs poitrines hébergeaient une quantité de décoration à faire pâlir de jalousie un général soviétique. L’un tenait un porte-documents sous son bras, l’autre tirait un petit charriot en lévitation à quelques centimètres du sol, sur lequel on avait disposé un tas de sacs gris et dodus.

Arrivés sur la pelouse, les deux aliens s’arrêtèrent. Celui avec le porte-documents scruta les visages de la foule d’hommes en armes qui s’était assemblée là, consulta son conférencier et prononça les paroles habituelles dans un américain parfait :

— Nous sommes venus en paix. Conduisez-nous à votre chef.

Un léger mouvement de panique parcourut la foule. Après un moment de flottement, un conseiller décida que respecter les volontés des premiers extraterrestres à poser le pied sur le sol terrestre primait sur les considérations de prudence, que les militaires auraient le temps de réagir si quelque chose se passait mal, et fit quérir le président. C’était d’autant plus urgent que les médias arrivaient.

Une large allée s’ouvrit dans la foule quand l’homme le plus puissant des États-Unis d’Amérique s’approcha de la soucoupe et des deux extraterrestres, entouré de sa nuée de gardes du corps.

— Au nom du Peuple des États-Unis d’Amérique et de toutes les nations de la Terre, je vous souhaite la bienvenue. Puisse Dieu vous bénir.

— Vos croyances amusantes n’ont rien à voir avec notre venue, répondit l’alien au porte-documents. Nous sommes venus en paix, monsieur le président, et aussi…

Il consulta sa fiche et reprit :

— Ah oui, nous vous offrons ce présent.

Il fit signe à son compagnon. Ce dernier se saisit de l’un des sacs et, dans un cliquetis de médailles, l’offrit au président avec ces mots :

— Puisse ce modeste cadeau sceller l’amitié entre nos peuples et vous conférer une saveur délicieuse.

Le président n’eut pas le temps de répliquer qu’une seconde soucoupe volante apparut dans les cieux et se posa juste à côté de la première. C’était une soucoupe presque identique à la première, à l’exception de sa couleur, un blanc immaculé décoré de larges croix rouges.

Dans la stupéfaction et la nervosité générale, trois autres extraterrestres en sortirent ; deux étaient habillés de blouses blanches et se dirigèrent vers les premiers arrivés, tandis qu’un troisième, habillé d’une combinaison moulante argentée conforme aux us des vieux films de science-fiction, se dirigeait vers un Président complètement perdu.

Ce dernier extraterrestre s’inclina profondément.

— Au nom de tout mon peuple, je vous présente toutes mes excuses. Ces deux personnes sont deux aliénés qui se prennent pour des humains. Ils ont réussi à s’échapper de l’asile et à voler une navette, et à atterrir ici avant que nous n’ayons le temps de réagir.

— Je…

— Ils savent pourtant qu’il est interdit de déranger le troupeau avant la récolte.

— Pardon ?

— En dédommagement, nous vous laissons les melons.

L’extraterrestre désigna les sacs puis, sans attendre de réponse, tourna les talons. Quelques instants plus tard, les deux soucoupes s’étaient envolées.

comments powered by Disqus