Viliford leva sa plume du papier, inspira et expira profondément. Dans quelques minutes, ce seraient plus de vingt années de longues et pénibles recherches qui se termineraient ; enfin il connaitrait le grand secret détenu par les écrits de Séraphin De Saint-Éphraïm.
Sa quête avait commencé lorsque le savant avait remarqué que les titres des écrits du plus prolifique philosophe de son temps suivaient une rythmique particulière, rythmique dont certains indices de ses textes laissaient penser qu’elle chiffrait quelque chose. Il s’était renseigné : la théorie commune chez les savants était que Séraphin De Saint-Ephraïm avait réalisé une découverte d’importante capitale, et qu’il l’avait léguée au monde sous la forme d’un chiffre dissimulé dans ses écrits. Mais personne n’avait réussi à le découvrir.
L’homme était très connu pour ses textes sur l’Humain et le Bonheur. Viliford espérait le secret du bonheur éternel, et après tant de temps se satisferait de tout secret qui lui garantirait son bonheur à lui.
Les roues du déchiffreur mécanique cliquetèrent, la première lettre était un V.
La quête avait été longue. Viliford s’était d’abord procuré assez d’ouvrages du philosophe pour s’assurer qu’il y avait bien quelque chose à découvrir dans ses écrits. Les indices laissés dans les textes étaient clairs, et la rythmique des titres évidente dès lors qu’on en avait assez.
Il avait alors parcouru le monde pour s’assurer d’avoir l’intégralité des écrits de Séraphin De Saint-Ephraïm – soixante-huit publications en tout, et s’assurait de les avoir dans le bon ordre. Rien que ce point était délicat, car il s’agissait de l’ordre d’écriture et pas de publication, et les deux différaient sensiblement à plusieurs reprises.
Il transcrit la seconde lettre, qui était un O.
Viliford avait alors longuement étudié l’immense masse de textes. À partir de là, il en avait déduit un chiffre compliqué, basé sur un carré de cinq par cinq, auquel le philosophe faisait correspondre les lettres de l’alphabet – le W était exclu.
Les nombres ainsi obtenus étaient ensuite passés à l’algorithme d’une machine à engrenages qui déduisait deux chiffres à partir de celui qui correspondait à la lettre et d’autres paramètres secrets. Ces deux chiffres étaient enfin encodés comme le nombre de lettres des titres de deux publications successives.
Viliford traça la troisième lettre, un U. Tout se présentait bien.
La découverte du processus de chiffrement n’avait été que le début des difficultés pour le savant.
La fabrication de la machine à engrenages elle-même avait été très complexe, onze artisans s’y étaient cassé les dents et avait englouti une bonne partie de sa fortune avant d’en obtenir une version fonctionnelle. Il s’était demandé comment Séraphin De Saint-Ephraïm avait pu en construire une pour chiffrer son message, des siècles plus tôt. Un ami mathématicien, après en avait étudié le fonctionnement, découvrit que le système était pensé pour être simple à chiffrer, mais complexe à décoder, et que l’antique philosophe avait imaginé sa machine sans jamais avoir eu besoin de la réaliser.
Les engrenages grincèrent, Viliford inséra une goutte d’huile dans les rouages, et d’un coup un S apparu sur le cadran.
Une fois l’engin fonctionnel, il avait fallu déterminer les paramètres de chiffrement utilisés, la clé du message. Des tests systématiques n’avaient que réussi à prouver que cette méthode ne donnerait rien, à moins d’avoir plusieurs éons devant soi. La clé était dissimulée dans les textes de Séraphin De Saint-Ephraïm, à partir de certains mots-clés et codée selon les antiques chiffres grecs et hébreux.
Viliford avait entamé un travail de fourmi pour collecter l’intégralité de ces indices et en déduire la clé, à partir de tous les écrits qu’il avait à disposition et qu’il connaissait maintenant par cœur.
Et son travail infini avait enfin payé ! Lettre après lettre, il écrivait le grand secret de Séraphin de Saint-Ephraïm.
La saisie des paramètres, l’action de la machine à engrenages et la copie du résultat ne prenaient que cinq minutes par lettre. Mais ces actions prenaient cinq vraies, longues, stressantes, minutes par lettre. Et, après trois heures de travail acharné, Viliford contempla son papier, sur lequel il y avait maintenant écrit :
VOUSA
VEZBE
AUCOU
PTROP
DETEM
PSAPE
RDRE.
« Vous avez beaucoup trop de temps à perdre ».
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