Thierry souleva la trappe et l’épaisse couche de poussière qui la recouvrait. Il n’avait plus mis les pieds dans ce grenier depuis des décennies, depuis l’époque où, enfant et adolescent, il s’y amusait avec ses amis ou ses cousins. L’endroit avait été château fort, sous-marin, vaisseau spatial, navire pirate…
Ce vaste espace sous les combles, calme et difficile d’accès, avait aussi été quelquefois l’occasion de découvertes intéressantes en compagnie de conquêtes féminines. Que de souvenirs…
Abandonné depuis des années – ses vieux parents n’étaient plus en état de grimper l’échelle pour faire le ménage – l’endroit était couvert de poussières, de toiles d’araignées, de réminiscences d’un temps passé où tout semblait plus simple, où le monde était neuf et l’avenir flou, mais radieux. Une vague odeur de renfermé et de moisi flottait dans l’air en compagnie des particules qui scintillaient dans les rayons de soleil. L’antique canapé voyait son cuir partir en morceaux. Une souris, perchée sur un tas de couvertures contemplait l’intrus d’un air mutin. Débordant d’un placard dont la porte ballotait sur un seul gond, des oreillers vomissaient leurs plumes, ou ce qu’il en restait. Un lapin (ce vieux Pinpin ! Quel nom ridicule !) pendouillait hors du coffre à jouets, une oreille déchiquetée par un rapace qui avait dû être bien déçu.
Et au fond du grenier, près de la lucarne, une grande armoire. Thierry ne se rappelait pas ce meuble. Pourtant il avait passé des heures et des heures dans l’encadrement de cette lucarne, à bouquiner assis dans le siège-hamac (dont seuls des lambeaux pendaient tristement du crochet au plafond), à observer le paysage et ses montagnes imposantes, à rêvasser devant les étoiles… D’ailleurs, comment une si grande armoire avait pu être montée dans ce grenier ? Bah, quelqu’un avait bien installé un canapé ici.
Il ouvrit les portes.
* * *
Une forteresse, une nuit. Le dernier assaut : les hommes qui tiennent les murailles savent qu’ils doivent résister aux hordes de monstres qui se pressent à l’extérieur. S’ils abandonnent les remparts, ils ne verront jamais le lever du soleil.
* * *
Un paysage étrange, hors de la Terre. Ça ne peut pas être la Terre. C’est bien trop grand, ça n’a aucun sens. Ici, pas d’horizon, à droite et à gauche, à des distances astronomiques que le cerveau de Thierry peine à comprendre, des montagnes dont la taille dépasse l’entendement. Ce qui est moins bizarre que le sol qui se déforme devant et derrière lui, qui monte, qui monte en s’éloignant à l’infini.
* * *
Une forêt, la nuit. Un cavalier caracole à toute vitesse entre les arbres, évitant chaque branche, chaque racine de justesse… un cavalier ? Non. Un centaure. Un peu plus loin, une araignée gigantesque, plus grande encore que le centaure. Thierry frissonne, il a toujours détesté ces bestioles. Trop d’yeux, trop de pattes, trop de… beurk.
* * *
Le blanc. Le froid. Le vent glacial, qui perce toutes les couches de vêtement imaginable et qui vient glacer chaque millimètre carré de son corps jusqu’aux os. Une grotte ou s’abriter.
Quelque chose craque sous ses pas. Un os ? La puanteur est épouvantable. Et… il y a quelque chose dans cette grotte, là, gelé, au fond. Quelque chose de profondément inhumain, un puzzle de chair que Thierry cherche à tout prix à ne pas résoudre.
* * *
L’odeur, puissante et sucrée, remplit toute l’atmosphère. La pièce, presque circulaire, tremble lentement. Mais tout cela est presque normal par rapport à la coccinelle titanesque qui le regarde. À moins que ça ne soit lui qui soit minuscule ?
* * *
— Thierry !
— Oui, chérie ?
— On t’attend !
— Oui, oui, pardon, j’arrive…
— Qu’est-ce que tu fichais ?
— Rien… Mais j’aurai besoin d’aide pour descendre les livres du grenier.
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