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Jour 1

Un épisode du NaNoWriMo 2016 de SpaceFox, publié le .

Avant le départ

Lundi sept juin, dix heures trente-sept du matin, heure locale, au quartier général de la Compagnie Cinématographique de Boissaint. La cérémonie de remise des diplômes et de constitution des équipages battait son plein ; le grand amphithéâtre, plein à craquer des nouveaux promus et de leurs familles, s’emplissait de clameurs à chaque déclaration du président-directeur-général de la compagnie.

 

Une cérémonie décennale qui clôturait trois ans de formation : une occasion si rare que toute la presse du système et même au-delà s’était invitée, ajoutant une couche supplémentaire de stress à la nervosité ambiante.

Barnabé, assis entre ses parents et sa sœur, se rognait l’ongle du pouce. Il avait réussi sa maitrise d’Histoire des Contes avec brio ; dans quelques instants il serait affecté à un équipage et partirait pour de longues missions. Avec qui exactement ? Il n’en avait pas la moindre idée. Des superordinateurs, paraissait-il, établissait les équipages avec équité pour une entente et un succès maximum. Il connaissait deux constantes, le nombre – trois équipiers – et la répartition des rôles : un chercheur (lui probablement), un technicien, et une « mascotte » (le véritable terme, que personne n’utilisait, était « pilier »), qui veillait sur la motivation et le bien-être de l’équipe.

 

« Nous appelons maintenant l’équipage du NCCB Grimm, vaisseau au nom prestigieux et tout récemment remis à neuf après le départ à la retraite de son précédent équipage », annonçait le président-directeur-général.

« Un beau nom, se dit Évangelina, pour un vaisseau qui a déjà une belle histoire. Il n’en reste plus que deux, faites que je sois sur celui-ci ! »

« À l’observation, monsieur Barnabé Barrabas ! »

Un grand type un peu bedonnant, qu’elle avait croisé quelques fois sur le campus, se présenta sur l’estrade l’air à la fois ravi et gêné par la foule.

« À la technique, mademoiselle Évangelina Nervi de Sicaire ! ».

La jeune femme rejoint son nouvel associé sur la scène, d’où elle salua ses parents et amis.

« Pour les épauler, Nicolas Sauvage ! »

C’est alors que se présenta sur l’estrade un renard. Aucun doute à avoir : là, sous la puissante lumière des projecteurs, qui montait les marches à petits bonds gracieux, c’était bel et bien un renard, roux et de taille normale, muni de ce qui semblait être un sourire aux lèvres.

« Salut, dit-il en arrivant auprès d’eux, content de vous connaitre, j’espère qu’on va faire une bonne équipe tous ensemble. »

Suite à quoi il s’assit à leurs côtés, enroula sa longue queue touffue autour de ses pattes et attendit avec tout le naturel et l’aplomb du monde que la cérémonie continue.

Le temps que Barnabé reprenne ses esprits, il avait déjà reçu son diplôme officiel, ses ordres de mission et était gentiment poussé vers la sortie par le maitre de cérémonie. Bien sûr, il y avait les animaux magiques. Il aurait dû s’en douter : l’un des mécaniciens était un gorille, l’une de ses camarades de classe était une ourse qui préparait une thèse sur ses semblables dans les contes de fées, et ce n’étaient pas les seuls exemples. Mais quand même… pourquoi lui ? Pourquoi son équipage ? Et puis les autres animagiques, comme ils aimaient à s’appeler, étaient généralement plus grands et plus… humanoïdes ? Le renard portait présentement ses documents dans sa gueule, ne serait-ce pas un handicap pour les missions ?

La fille, dans son genre, était aussi étrange. Il l’avait croisée sans jamais vraiment lui porter attention. Au-delà d’un physique passe-partout, il avait d’elle une image de bucheuse aux gouts particuliers : était-ce bien des petits crânes qui ornaient ses manches ?

*    *    *

Le président-directeur-général n’avait pas menti : le NCCB Grimm était refait à neuf. Il rutilait sous le soleil du parking du quartier général. Évangelina passa la main sur la paroi en rentrant dans le sas : la perfection incarnée. Elle en frissonna malgré la chaleur. À droite de l’entrée, la salle de repos, meublée sobrement mais avec gout. Elle s’y installa en attendant ses… ses quoi au juste ? Camarades ? Ils n’étaient plus étudiants. Équipage ? Ils étaient tous égaux à bords de ces vaisseaux, une étrange concession à la structure très hiérarchique de la Compagnie, semblait-il motivée par les statistiques. Amis ? Peut-être faudrait-il qu’ils deviennent amis, après tout ils allaient passer l’essentiel de leur vie ensemble, vingt-quatre heures sur vingt-quatre sauf pendant les congés.

L’homme arrivait. Comment s’appelait-il déjà ? Barnabé ? Elle lui tendit la main – Évangelina détestait faire la bise aux inconnus, et pour l’heure il était un quasi-inconnu.

— Évangelina Nervi de Sicaire, se présenta-t-elle. Mais tout le monde m’appelle Lina.

— Positivement enchanté. Je me permet de me présenter, l’on me nomme Barnabé Barrabas, Nab pour les intimes.

La jeune femme esquissa un sourire.

— Pose donc tes affaires dans le coin, Nab, lui dit-elle. Dis-moi, tu parles toujours comme ça ?

— Heu…

— OK, n’hésite pas à te détendre !

Il y eut un cliquetis de griffes dans l’entrée, suivie d’un sonore :

— Salut la compagnie ! Nicolas Sauvage est dans la place, mais vous pouvez m’appeler Nico !

C’était le renard, qui se débarrassa lestement d’un sac à dos conçu exprès pour lui.

— Bonjour, répondit Évangelina.

Elle tendit de nouveau la main et s’interrompit dans son geste.

— Comment salue-t-on un renard ?, demanda-t-elle. Je ne pense pas que l’on se serre la main ni que l’on s’embrasse ?

— Pour commencer, je préfère mourir plutôt que tendre la papatte comme un chienchien, que ce soit bien clair. Je ne serre pas la main non plus, je ne suis pas équipé pour ça – je manque de pouces, voyez vous. Quant aux embrassades, il faudrait que je vous saute dessus ou que vous vous couchiez par terre, ce qui serait gênant dans tous les cas. Non, la solution idéal est que vous fassiez la révérence.

Il y eut un silence dans l’habitacle, tandis que les deux humains se regardèrent puis observèrent le renard. Lequel arborait le plus grand sérieux, drapé dans sa queue – puis éclata de rire quelques secondes après.

— Bien sûr que non, enfin ! On se dit salut, on se fait un signe de la patte, de la main quoi, et puis c’est bon. C’est quoi vos petits noms au fait ?

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