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Alors ils patientèrent, bien obligés, couvant l’espoir secret que « quelque chose », si possible pas trop horrible, surgisse.
Évangelina s’était mise en tête de découvrir les environs, avec le double objectif de trouver la tanière de la Kitsune, qui devait bien vivre quelque part, et de voir les limites du monde. Deux missions, deux échecs. Si Rouge avait un antre discernable de l’une des moult tanières de renards normaux éparpillées dans la région, elle ne la trouva pas. Quant à ce monde, il paraissait normal et vivant aussi loin qu’elle put aller et observer – il y avait même une ville d’importance, fumant au loin dans la plaine.
Nicolas et Barnabé, eux, glandouillaient au vaisseau, quand ils n’allaient pas prendre des nouvelles de Rouge, ce qu’ils faisaient matin et soir. La renarde se remettait bien en apparence et moralement ; toutefois sa blessure, malgré les soins attentionnés de Clairvoyant, n’évoluait plus. Elle arrachait des grimaces de douleur à chaque mouvement brusque de la pauvre jeune femme et lui interdisait tout effort prolongé. En dehors de ces visites, Nab se mit en tête d’apprendre le jeu de Go, qu’il trouvait adapté au décor, à Nico. Ce dernier, d’abord plein de bonne volonté, se retrouva vite à pester contre un jeu injouable avec des pattes et auquel il perdait systématiquement.
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Le dernier jour de l’ultimatum revint avec la pluie, un déluge qui assombrissait le ciel et transformait la forêt entière en sauna. Les explorateurs avaient hésité à suivre l’ermite lorsqu’il descendit en ville, mais le féérimètre ne décolla pas du zéro, et l’humidité et la chaleur les découragea du moindre pas superflu hors du cocon climatisé du NCCB Grimm.
L’appareil s’agita au retour du moine. Ils le suivirent donc, pestant contre la boue qui rendait le chemin particulièrement glissant.
Rouge méditait, assise sur la galerie qui faisait le tour de la maison, les jambes pendantes . Ses pieds nus touchaient le gravier du jardin sec, superposant des motifs improvisés aux alignements soigneux d’origine. Mais le méticuleux moine ne dit rien. Peut-être que les motifs tracés par un être sacré étaient plus sacrés que le jardin lui-même ?
Il s’assit à côté d’elle.
— Il passe vous chercher demain midi, lui dit-il en regardant les montagnes au loin. Tout ira bien pour vous ? Avez-vous besoin de quoi que ce soit d’ici là ?
— J’ai un plan, que j’ai conçu infaillible. Ne t’inquiète plus pour moi, tout ira parfaitement, selon le plan ; et d’ici après-demain midi je serai de retour, vainqueresse, et tu auras ta faveur amplement mérité. En attendant, je n’ai besoin de rien.
Elle détailla quelque chose visible d’elle seule dans les entrelacs de motifs du gravier. Tout à coup, elle poussa un profond soupir, s’affaissa et, doucement, posa sa tête sur l’épaule de Clairvoyant.
— Je crois, murmura-t-elle, qu’en vérité j’ai encore besoin d’un peu de soutien. Encore merci pour tout ce que tu as fait pour moi, mon ami.
L’ermite, raide comme la justice, se détendit peu à peu ; lentement, avec une surabondance de précautions, il passa son bras autour de l’épaule de la Kitsune. Aucun divinité ne le foudroya pour ce comportement.
— J’imagine que je peut vous procurer cela, murmura-t-il à son tour.
Puis, presque inaudible dans un souffle, il ajouta :
— Vile tentatrice.
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