Ces deux-ci pénétrèrent dans le sas, lurent le rapport sur les conditions extérieures. Barnabé sélectionna des habits adéquats sous le regard légèrement narquois de Nicolas. Quelques instants plus tard, pour la première fois de leurs vies, ils foulaient la terre d’un monde fantastique.
— Un petit pas pour un renard, un grand pas pour la renardité.
— Depuis le temps que la Compagnie embauche des animagiques, tu es le premier renard ?
— Pour autant que je sache, oui. Émouvant, non ?
Ils observèrent leur environnement. Leur vaisseau était sis dans une petite clairière d’une hêtraie. Tout était calme ; ils n’entendaient que quelques oiseaux et le bruissement d’un ruisseau à quelques mètres de là. Bien que négligée, des êtres intelligents habitaient la forêt ou les alentours : une vague odeur de fumée flottait dans l’air. D’un commun accord, ils se dirigèrent vers le côté le moins dense, dans l’espoir d’arriver à la lisière.
Ce ne fut pas long : dix minutes plus tard, ils contournaient un roncier pour arriver dans une prairie. Au loin, quelques petites maisons tassées les unes sur les autres.
Nico s’arrêta, bondit sur un tas de bois à proximité et, fort de son nouveau poste d’observation, grogna :
— Attends… Nab, tu nous disais bien qu’on nous avait refilé une mission de type « Petit chaperon rouge » ?
— Oui, pourquoi ?
— Rien ne te parait bizarre ?
Le jeune homme observa le village avec attention.
— La ligne électrique et les paraboles. Si on est vraiment dans un C-ATU333, ce n’est pas une version habituelle. Ce conte est censé se passer à l’époque médiévale.
— C’est bien ce que je craignais. Bah, au moins on aura quelque chose à raconter. Mais c’est pas l’heure de s’occuper de ça, on a un repérage à finir.
— Je note de revenir, dit Barnabé. Laisse-moi réfléchir… si on est au bon endroit, on devrait trouver un chemin qui pénètre dans la forêt à proximité.
Il le trouvèrent sans difficulté, l’entrée dans la forêt était même matérialisée par un haut portail de bois, sobre mais peint en jaune. Cette forêt était-elle considérée comme sacrée pour les habitants du cru ?
Le chemin était large et praticable sans difficultés malgré la boue. Ils marchèrent une bonne demi-heure avant d’arriver en vue d’une vaste clairière. Au milieu de cette clairière, une maison simple et bien entretenue, un potager, et un ancien puits qui servait maintenant de décoration, encombré de jardinières. Un peu plus loin, une vieille dame encore alerte sarclait un carré de terrain.
— Parfait, murmura Barnabé, nous sommes au bon endroit. Par contre, la lumière commence à baisser, il va être temps de rentrer.
— Ben quoi, je ne vois pas le problème ?
— Cher ami renard, je n’ai pas tes capacités de nyctalopie. Et de toutes manières ce conte se déroule de jour. Le repérage est terminé, rentrons – et prions que la prochaine fois, on ait pas de décalage horaire entre le monde réel et celui de la mission.
— J’imagine que le décalage horaire sera une partie de plaisir par rapport à notre première mission avec un décalage de vitesse temporelle… Là, ça va faire bizarre au retour !
Pendant ce temps, Évangelina lança les procédures de contrôle. Tout était normal. Suivant les instructions du manuel, elle lança les procédures de vérification des procédures de contrôles. Là aussi tout était normal, et elle nota mentalement d’ignorer cette étape si elle n’avait pas une bonne raison la réaliser pour les futures missions. Elle lorgna du côté des différents détecteurs. Tout était normal.
Non. Tout aurait été normal, si elle était encore dans son monde d’origine. Mais elle se trouvait dans un conte censément médiéval – un univers dans lequel elle n’aurait pas dû capter tant de signaux radio. D’un coup de talon, la jeune femme roula vers le poste de communications et activa les décodeurs.
Il ne fallut pas trente secondes aux systèmes pour accrocher un signal et le décoder, puisqu’il répondait à l’une des très nombreuses normes incluses dans les appareils. Ainsi, les habitants du coins émettaient des émissions de télévision. Et pas n’importe quelles émissions…
— Hé ben Lina, on ne réponds pas quand on t’appelle ? T’as pas entendu qu’on est rentrés ?
Nicolas s’introduisit dans le poste de communication et sauta sur les genoux de la jeune femme. C’est à peine si celle-ci remarqua sa présence, passionnée qu’elle était par ce qui s’animait sur son écran. Le renard la considéra, se retourna pour voir ce qu’elle regardait, et poussa un long sifflement.
— Hé bé Lina, tu t’amuses bien en notre absence !
— Non ! Ce n’est pas ce que tu crois…
— Dis-donc, mon amie, tu ne me prendrais pas pour une cruche ? Tu essaierais de me faire croire qu’il y a autre chose sur cet écran qu’un homme torse nu qui explore les sous-vêtements d’une donzelle ?
— Non. Si, mais ce n’est pas ce que je veux dire. Regarde !
Elle appuya sur une touche, l’image bascula. À l’écran, une femme habillée très près du corps embrassait fougueusement un homme aux muscles hypertrophiés. Barnabé entra à cet instant et lança une réplique taquine sur les activités de sa camarade lorsqu’elle se croyait seule.
— Vous êtes couillons tous les deux ! Ça, c’est la télévision locale.
— Pardon ?
— Et ce n’est pas tout : il est dix-neuf heures trente-deux, heure locale (elle tapota de l’ongle l’heure indiquée dans un coin de la retransmission), et sur les sept chaines que je capte, trois passent des émissions érotiques et une de la pornographie.
— C’est une blague ?
— J’aurais préféré. Mais là une chose est certaine : je ne sais pas où on nous a envoyés, mais cet univers n’est pas normal.
— Si tu entends par là que ce n’est pas l’univers attendu lorsqu’on évoque l’idée de « Petit chaperon rouge », dit Barnabé, nous sommes d’accord. Soit la Compagnie nous a confié l’exploration d’une version très très étrange de ce conte, soit je me suis fourvoyé dans mes suppositions à partir des coordonnées fournies.
— Il y a bien une masure isolée en pleine forêt, habitée par une grand-mère, fit remarquer Nicolas.
— Exact. Quoiqu’il en soit, nous devrions avoir la réponse demain. Je m’attends à tout.
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