Aujourd’hui, je vais vous parler d’un manga un peu spécial pour deux raisons : la première, c’est qu’il est construit sur un postulat de base complètement farfelu ; la seconde, c’est qu’il n’est plus disponible en France, hors occasion.
L’avis du renard
Tout commence par une question…
Voilà que par hasard, je tombe sur ce synopsis d’une série de mangas :
Chihiro1 Furuya est un garçon passionné par les zombies, au point de les préférer aux filles en chair et en os. Un jour, il fait la connaissance de Sanka Rea, jeune fille de bonne famille et objet de fantasme pour tous les garçons, sauf Chihiro, évidemment. L’accro du gore a d’autres soucis. Il doit créer un élixir de résurrection pour son chat mort, sans se douter qu’il sera bu, par Rea, transformée en zombie ! Chihiro devra prendre ses responsabilités, et cacher la morte-vivante sous son toit. La cohabitation s’annonce riche en surprises !
Et il y a 11 volumes. Me vient alors une question : « Comment peut-on faire une histoire qui se tient sur un synopsis aussi absurde ? Surtout, comment est-ce possible de tenir sur onze tomes ? »
Comme je suis curieux, je me procure la série. Si c’est trop nul, j’aurai juste perdu un peu de temps ; au mieux, je saurai qu’on peut faire une série correcte d’après une idée en apparence aberrante.
… et donc ?
Eh bien, à ma grande surprise : on peut écrire une histoire tout à fait convenable à partir du postulat suscité. Le coup de génie de l’auteur, c’est d’avoir évité de faire de son héroïne une fille morte-mais-magiquement-normale, où sa seule caractéristique serait d’être « techniquement décédée ». Non, Rea est morte et bien morte, sa seule caractéristique c’est d’être toujours consciente et animée ; et donc son corps subit ce qui arrive à tout macchabé, à commencer par la rigidité cadavérique. C’est précisément le combat contre ces effets secondaires qui va être le moteur principal de toute l’histoire et lui permettre de tenir dans le temps.
Grâce à ce parti-pris, l’auteur nous a proposé onze volumes plutôt agréables à lire. Évidemment, il ne tient pas les onze tomes avec cette seule idée, aussi a-t-on droit à quelques rebondissements, trois-cent pages superflues de « shônen générique », un surplus de fantastique et un final assez osé2. On ajoute à ça des graphismes tout à fait corrects malgré le quota de plans « sexy » inutiles, mais imposés par la cible éditoriale3, et on obtient une bonne surprise.
Le manga est catalogué comme « shônen – comédie romantique », mais n’hésite pas à lorgner des thématiques sensiblement moins joyeuses que cette étiquette suppose, notamment sur le rapport à la mort (vu le thème…)
Attention, ça n’est pas le manga du siècle, loin de là. Mais l’exercice de ce que l’on peut tirer d’un synopsis en apparence totalement absurde était vraiment intéressant à lire, surtout qu’ici c’était réussi. Ça n’est pas le seul exemple, un de ces quatre je vous parlerai de Assassination Classroom, qui en plus me permettra d’évoquer le travail de commande.
À lire absolument si on aime
- Les zombies originaux
- Les comédies romantiques innovantes
- Les histoires au postulat fantasque, mais qui fonctionnent quand même
À éviter si on cherche
- Une lecture sérieuse et profonde
- Des zombies de cinéma gore
Évitez aussi ce manga si le traitement du thème de la mort sur le ton de l’humour vous dérange.
Et au fait, ça s’achète où ?
Réponse courte : en France, uniquement en occasion.
Réponse longue :
Les mangas se vendent par « pics » très prononcés : chaque tome s’écoule beaucoup à sa sortie, et très peu ensuite. Donc, à moins que le manga ne soit un grand succès, c’est rarement rentable de faire des retirages papier une fois le dernier volume paru.
Ce manga était aussi vendu en version électronique, on pourrait penser que cette version soit encore en disponible, même le tirage physique épuisé. Renseignements pris, ça n’est pas toujours possible : soit parce que l’éditeur japonais impose d’arrêter la commercialisation de la version électronique si la version papier n’est plus disponible ; soit car les ventes électroniques sont si faibles qu’elles ne compensent plus les frais de mise à disposition sur les différentes plateformes.
Ceci explique pourquoi Sankarea n’est plus disponible nulle part en neuf en version française.
Donc, oui, je viens de vous faire une chronique complète sur un manga que l’on ne peut se procurer légalement qu’en occasion…
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Si en France « Chihiro » fait d’abord penser à la fillette du film « Le Voyage de Chihiro », c’est en réalité un prénom mixte au Japon. ↩︎
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Ledit final eut été plus percutant en supprimant l’avant-dernière scène, mais n’aurait peut-être plus été adapté au public ciblé, les jeunes garçons. La façon dont le final est réalisé m’a laissé l’impression que cette avant-dernière scène n’était pas vraiment prévue par l’auteur, parce que tout se tient aussi sans elle ; mais je n’ai aucune preuve à avancer. ↩︎
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Au Japon, les mangas ciblés shônen, donc pour les jeunes adolescents, en particulier ceux catalogués « comédie romantique » comme celui-ci, se voient imposée une certaine quantité de plans sexys… selon les auteurs et les éditeurs, ça va de « correctement intégré en quantité acceptable » à « complètement abusif ». ↩︎