… et un vieux placard leur montrait sa porte fatiguée, entrebâillée entre la cheminée et le mur mansardé. Bien qu’on avait abandonné cette aile de la maison des années auparavant, les quatre visiteurs avaient chacun leurs souvenirs de cette pièce. Ils parcourent les trois mètres qui les séparaient du rangement.
Marie l’ouvrit avec précaution ; une volute voleta tandis qu’une odeur de renfermé et de cinquante plus tôt lui assaillit les narines. Cette salle avait été sa chambre, à l’époque où elle n’était qu’une enfant. Situé directement sous les toits et très mal isolé, ce cagibi s’était avéré inapte au stockage de quoi que ce soit de valeur. Alors elle en avait fait sa cachette personnelle, y entreposant ses poupées, ses trésors, parfois elle-même pendant de courts moments de bouderie. Il y avait eu aussi cet été-là…
— Marie ! Qu’est-ce que c’est que ça ?
Sa mère désignait une coulure rouge vif qui s’échappait de sous la porte du placard. Zut ! Elle les avait complètement oubliées !
— Heu… ça doit être les cerises.
— Les cerises ? Quelles cerises ?!
— Ben…
La femme ouvrit la porte ; une violente odeur de fruits trop murs emplit instantanément la pièce. Quelques drupes tombèrent, rebondirent et roulèrent sur le parquet dans de petits bruits mous.
— Doux Jésus, Marie, qu’est-ce que tu as fait encore ?
— Eh bien, je voulais être sure d’avoir des cerises tout cet été, alors je les ai gardées là…
— Par cette chaleur ? Mon Dieu…
La jeune fille avait dû nettoyer l’endroit de fonds en combles ; mais les années suivantes, le placard avait conservé
cette odeur caractéristique. Et même aujourd’hui, plus d’un demi-siècle après, Marie la décelait encore, entre les
effluves de renfermé, de moisi et de poussière.
Ça n’était pas une illusion. Elle en était sure… presque sure…
* * *
Georges contemplait le placard, sa texture rugueuse, sa peinture intérieure blanche écaillée, sa senteur de vieux bois surchauffé à travers la toiture sous le soleil d’été que parvenaient à peine à masquer les émanations de renfermé et de poussière. Il avait eu l’occasion d’étudier longtemps tous ces détails, quatre décennies plus tôt. Lui et Marie se fréquentaient depuis peu, à l’insu de leurs parents respectifs (croyaient-ils) quand ils avaient profité d’une absence de ses ascendants à elle pour passer une journée en amoureux.
Le crissement de pneus sur le gravier de l’allée les tira de leurs bécots, la jeune femme se rajusta et se rua à la fenêtre.
— Foutredieu ! C’est Papa !
— Qu’est-ce qu’il fait ici ? Il ne devait rentrer que tard dans la nuit ?
— Je ne sais pas, mais planque-toi, vite ! Il a l’air énervé en plus !
— D’accord, mais où ?
Il était hors de question qu’il trouve Georges là, dans cette chambre, alors qu’ils étaient tous deux mineurs. Le paterfamilias avait des idées très arrêtées sur qui pouvait fréquenter sa fille et de quelle façon, ce que les jeunes gens auraient résumé à « personne, d’aucune manière ».
Pris de court, l’adolescent se terra dans la seule cachette assez grande pour l’accueillir, et cuit dans ce four improvisé jusqu’au soir, quand le paternel s’en fut enfin jouer au bridge. Marie le récupéra en nage, deshydraté et courbatturé ; mais l’incident avait soudé leur couple pour de longues décennies.
* * *
Thérèse sursauta en reconnaissant cette odeur de poussière et de renfermé aux relents de moisi. Lorsque sa mère quitta la maison, après son mariage avec Georges, la pièce avait été reconvertie en partie en bibliothèque. Quelqu’un avait eu l’idée saugrenue de ranger des piles entières de livres dans ce placard, et ce qui devait arriver arriva : un violent orage créa une gouttière qui détrempa les ouvrages.
Ce n’est que plusieurs semaines plus tard que la femme constata les dégâts, intriguée par l’odeur étrange qui flottait dans la salle. Elle insista pour s’occuper du problème, malgré les récriminations de ses grands-parents. Protestations qu’elle ne comprit qu’en découvrant la nature exacte des documents stockés là. De toute évidence, ses ancêtres à la réputation empesée appréciaient la littérature qu’ils auraient qualifiée de coquine.
Une collection impressionnante qui était si détériorée qu’elle avait fini dans une poubelle discrète ; mais la représentation que se faisait Thérèse de ses aïeux en avait été changée à jamais.
* * *
Jules, intrigué par l’odeur de vieux papier et de plastique antique qui se dégageait du placard, en extirpa une boite de jeu. L’objet était en ruine, les coins ne tenaient plus qu’avec du scotch. Il manquait un bon quart des cartes et les billets de banque étaient tous en vrac, mais avec un peu d’effort, assez d’imagination et de mauvaise foi, on pourrait quand même y jouer.
Le jeune homme connaissait bien ce jeu pour en avoir fait d’innombrables parties avec son grand-père lorsqu’il était enfant, une dizaine d’années plus tôt. Maintenant, il devait reconnaitre que le jeu ne proposait qu’un amusement très limité. Mais il voyait le regard pétillant du vieillard se poser sur la boite…
— Ça te dit une petite partie, Papi ?
Oh, et l’ancêtre trichait comme un porc. Enfant, il n’avait jamais rien vu, mais l’avait compris adolescent. C’était l’occasion de prendre une revanche méritée. Tiens ? Un antique illustré mangé par les moisissures trainait dans le fond…
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