La radio capta quelques bribes de phrases hachées, un grésillement indistinct, puis plus rien. Merde. Le jour martien dure vingt-quatre heures, trente-neuf minutes et trente-cinq secondes, et chacune des secondes de celui-ci semblaient dédiées à la production de contretemps. Celui qui venait d’arriver rentrait dans la catégorie « catastrophique ».
Ce matin-là, Florence et Thomas étaient partis en mission depuis la base Jules Verne réparer une antenne-relai et relever les résultats d’expériences en cours. L’antenne, nécessaire à la navigation dans cette zone de Noctis Labyrinthus, était indispensable aux futures expéditions, mais avait un taux de pannes incohérent avec toutes les prévisions ; l’expérimentation devait déterminer ce qui pouvait provoquer de telles perturbations.
Ils avaient roulé dans la poussière rouille, admiré le paysage crevassé, et étaient arrivés à destination. Là, les ennuis avaient commencé : l’électronique de l’antenne grillée, sa batterie et ses panneaux solaires morts, le boitier de mesure contenant uniquement des résultats chaotiques… tout ce qui avait pu échouer avait mal tourné. Florence était donc retournée dans le véhicule pour récupérer du matériel supplémentaire lorsqu’elle capta la dernière communication de Thomas.
Elle avait gardé son calme – après tout, les perturbations électromagnétiques semblaient courantes dans la région, c’était précisément la raison de leur venue –, rassemblé les outils et composants nécessaires, puis revint à l’antenne. Thomas était allongé, un trou d’une dizaine de centimètres de diamètre lui traversant la poitrine de part en part. Du sang en ébullition s’écoulait lentement dans la chaleur de l’été. Devant sa réaction, l’intelligence artificielle du scaphandre de la spationaute lui injecta un cocktail de relaxants et d’antinauséeux. Le premier choc passé, elle sentit sa conscience se dédoubler pour ignorer la partie qui hurlait au secours, et observa la scène avec un détachement qui la mettait elle-même mal à l’aise.
Son premier réflexe lorsqu’elle récupéra le contrôle de ses actions fut d’appeler à l’aide, mais sa radio aussi ne répondait plus, y compris sur les fréquences de sauvetage satellitaires. Thomas était mort, et bien mort. Personne ne peut survivre à un tel trou, surtout quand il a emporté le cœur et tous les gros vaisseaux.
Elle devait se mettre en sécurité, mais de quoi ? Un arc électrique ? Non, même derrière le véhicule elle l’aurait vu, et les éclairs ne provoquent pas de pareilles ouvertures, y compris sur Terre. Un accident ? Si l’antenne était tombée sur le pauvre homme, elle serait restée plantée dedans, n’est-ce pas ? Et puis le pylône était intact. Alors quoi ?
Un débris spatial en perdition ? Non seulement il aurait fallu une malchance extraordinaire à l’astronaute (quoique les autres explications rationnelles impliquaient aussi une telle malchance), mais en plus il n’y avait aucune trace de météorite à l’horizon. D’autant plus que…
Florence se rapprocha du cadavre de Thomas. Le trou était absolument rond. Quel phénomène naturel et accidentel pouvait provoquer une ouverture si parfaite en plein cœur d’un homme adulte ? Peut-être qu’une violente décharge de plasma.
Quelque chose bougea au coin de son champ de vision. Elle se retourna, et vit un truc scintiller, et venir plus près d’elle. Un mouvement tout à fait incompatible avec la topologie ou les vents locaux. En un éclair, elle comprit, et au mépris de toutes les procédures se rua dans le véhicule et démarra, abandonnant tout le matériel et le corps de son camarade.
Roulant en trombe vers la base Jules Verne, elle appelait frénétiquement toutes les fréquences connues – sans réponse – parce qu’elle avait fait la découverte du siècle : Mars était habitée, et pas seulement par une vie humaine. Et surtout, ces autochtones tentaient de l’assassiner.
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