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11 – Le puits aux souhaits

Un épisode de l’Inktobre 2020 de Lisa Refur, publié le .

Comme de coutume, Emma, Nathan, Lucas et Jade jouaient dans l’immense propriété tandis que les adultes dégustaient l’infini repas dominical. C’était une journée typique de la fin de l’été, lourde et moite. Trop près au-dessus de leurs têtes, les lourds nuages croissaient et bourgeonnaient, fusionnaient en des masses cotonneuses de plus en plus grandes et sombres.

Les quatre cousins et cousines, tout à leurs jeux et poursuites, ne se soucièrent pas du temps, jusqu’à ce que les premières gouttes s’écrasent sur la pelouse. Les enfants coururent se mettre à l’abri de l’appentis appuyé contre la grange, et attendirent que l’averse passe. D’ordinaire, ils ne venaient pas dans cette partie du jardin. C’était là le domaine des machines agricoles, outils dangereux dont l’accès était interdit par le patriarche. Au-delà de la grange s’étendait le petit bois, une futaie dense et sombre embroussaillée de ronces dont la seule utilité semblait être de fournir d’excellentes mures et de délicieux champignons, un endroit désagréable et inintéressant.

Sauf aujourd’hui : alors que le tonnerre grondait et que le rideau de pluie faiblissait, Jade remarqua une lueur qui brillait dans le petit bois, une lumière blanche qui tirait sur le turquoise, tout à fait inhabituelle.

— Il faut qu’on aille voir ça, dit Nathan.

— Pas d’accord, répliqua Lucas. Papi nous a interdit d’aller par là-bas.

— T’as les chocottes, c’est tout, répondit Nathan.

— Papi nous a interdit de jouer près de la grange, précisa Emma. Il n’a jamais parlé du petit bois.

— T’as peut-être raison… mais Jade est trop petite, on ne peut pas l’amener là-bas.

— N’importe quoi ! Je suis grande d’abord, et je veux aller voir cette lumière. Et c’est moi qui l’ai vue en premier, je veux savoir !

Sans attendre que la pluie s’arrête, elle se mit en route. Les trois autres la suivirent.

La lumière émanait d’un puits, au centre d’une minuscule clairière dans le petit bois. Car c’était bien un puits, il n’y avait aucun doute là-dessus. Il possédait une margelle en pierre, deux montants en bois, un petit toit de tuiles pour le protéger, un rouleau, sa manivelle et une corde au bout de laquelle pendait un seau. Un chèvrefeuille escaladait l’un des montants. Bref, c’eut été un puits tout à fait normal s’il n’émettait pas une étrange lumière. D’autre part, personne dans la famille n’avait jamais mentionné de point d’eau à cet endroit : outre l’eau courante, il y avait une fontaine à quelques mètres de la maison.

— C’est bizarre qu’on ne l’ait jamais vu avant, dit Emma.

— Peut-être c’est un puits magique ? dit Jade.

— Tu as raison, ma chère enfant, répondit le puits.

Les cousins reculèrent de quelques pas.

— Un puits magique ? Ça n’a aucun sens, ça n’existe pas !

— La preuve que si, Lucas. On en a un juste sous les yeux.

— Vous croyez qu’il va exaucer nos vœux parce qu’on a été sages ?

— Je vais faire mieux que ça, chère demoiselle : je vais exhausser l’un de vos vœux alors même que vous ne l’avez pas étés.

— Si, on a été sages !

— Là n’est pas le débat, mon enfant. Mais n’oubliez pas : un seul vœu. Et pas d’entourloupe, pas la peine de me demander plus de souhaits ou d’autres puits, ou que sais-je dans le genre.

— Trop bien !, s’écria Jade. Moi je veux…

— Stop ! s’écria Emma. Attention, c’est sans doute un piège. Il va prendre notre vœu au pied de la lettre, et ça va tourner à la catastrophe.

— Comme dans le conte, fit Lucas.

— Le conte ?

— Celui où la souris demande du beau temps pour pouvoir jouer avec ses amis, et où tout le monde meurt desséché dans le désert.

— Bien vu, dit Emma. Il faut qu’on réfléchisse bien.

— Moi, je sais, dit Jade. Je veux que plus personne dans le monde ne soit malheureux, jamais.

— Accordé, dit le puits aux souhaits.

Et l’humanité disparut.

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