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Alors ils patientèrent, bien obligés, couvant l’espoir secret que « quelque chose », si possible pas trop horrible, surgisse.
Évangelina s’était mise en tête de découvrir les environs, avec le double objectif de trouver la tanière de la Kitsune, qui devait bien vivre quelque part, et de voir les limites du monde. Deux missions, deux échecs. Si Rouge avait un antre discernable de l’une des moult tanières de renards normaux éparpillées dans la région, elle ne la trouva pas.
Ils arrivèrent à l’ermitage au point du jour. Clairvoyant était déjà levé et méditait, comme à son habitude, devant le jardin sec. La montée rapide de luminosité (le soleil se levait et se couchait vite sous ces latitudes) réveilla la Kitsune, quelques minutes à peine après l’arrivée des explorateurs. Elle était maintenant d’un kesa, une tenue de moniale ocre, visiblement empruntée au maitre des lieux. Même attifée ainsi, mal réveillée, assise dans un futon blanc cassé dont la couleur jurait avec celle de ses habits, elle conservait un je-ne-sais-quoi d’indéniablement attirant.
Clairvoyant réfléchit.
— J’accepte de passer le message. Mais comprenez bien que la décision finale sera sienne, pleinement et entièrement.
— Je compte sur vous pour être convainquant.
— Je lui exposerai les faits, elle décidera.
— Usez de votre autorité. Après tout, même Kitsune, ce n’est qu’une femme.
— Mais quelle mufle !, s’écria Lina.
L’ermite eut un sourire.
— Même si une telle chose existait, dit-il, ce ne serait pas le cas de celle-ci.
— Mon cher ami, susurra le magicien d’une voix mielleuse, je ne sais si je dois vous blâmer, vous avertir, vous féliciter ou simplement m’étonner.
L’ermite eut un mouvement de recul. Il fixa son interlocuteur, lui laissant le soin de continuer.
— Vous blâmer d’avoir accueilli un étranger sous votre toit, ce qui viole, pour autant que je sache, vos serments d’isolement, surtout quand cette personne est une femme d’une grande beauté, qui a du mette à mal votre serment de pureté.
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Avertis par leurs instruments, les trois explorateurs repartirent du NCCB Grimm un peu avant quinze heures, sous un soleil de plomb. Contrairement au matin, ils se méfièrent : lunettes de soleil, manches longues (Nab et Lina arboraient de superbes marques rouge écrevisse) et chapeaux. Évangelina surpris ses collègues en sortant munie d’un superbe tricorne noir qui, curieusement, lui allait très bien, quoique Barnabé jugea que la petite mort mignonne qui l’ornait était une faute de gout.
Ils suivirent donc Clairvoyant qui pénétra immédiatement dans le cabinet du magicien Petite-péninsule-de-palais. Le moine avait-il un passe-droit permanent, ou avait-il pris rendez-vous d’une manière ou d’une autre ? Les explorateurs n’en avaient pas la moindre idée.
Ledit cabinet était une grande pièce sombre et enfumée, dont les forts relents d’encens couvraient mal les pestilences chimiques qui flottaient çà et là. Les nombreux meubles étaient tous recouverts d’éléments ésotériques, de fioles, de verrerie remplies de liquides bloblotant, d’objets incompréhensibles.
Le féérimètre se tut ; aussitôt les trois explorateurs se remirent en chemin vers la fraicheur de leur vaisseau.
Le lendemain matin, d’un commun accord, ils envoyèrent une sonde observer ce qui se passait, parce qu’il était hors de question de faire des heures de grimpette dans le hammam de l’extérieur juste pour attendre que quelque chose daigne arriver. Bien leur en pris : ils virent que l’état de la Kitsune était resté stable, sans doute grâce au produit qui l’assommait, et que le moine se préparait à faire la longue route qui l’amènerait jusqu’au village.