Isis s’interrogeait. Qui était cette femme ? Que voulait-elle ? Pourquoi l’avait-elle totalement ignorée, passée la seconde de leur présentation, et pourquoi se comportait-elle comme si elle n’existait pas ? Que cachait-elle derrière son masque et ses vêtements couvrants ? Comment pouvait-elle être si sensuelle sans montrer la moindre parcelle de son corps ? Quel lien avait-elle avec Venceslas ? Comment l’avait-elle identifié dans cette foule ? Tout à coup, dans son esprit, ces questions fusionnèrent en une seule, qui les englobaient toutes.
Les deux jeunes gens s’approchèrent de la découpe rectangulaire dans l’univers. L’au-delà, toujours aussi flou et tourbillonnant, leur donnait le vertige. Qu’allaient-ils trouver ? Ils n’en avaient aucune idée, mais ceci était leur seule porte de sortie.
Venceslas inspira profondément, puis tendit sa main à Isis.
— Allons-y.
Elle regarda la paume, surprise, puis y posa la sienne, sans être tout à fait capable d’exprimer la raison de son geste. Sans doute un espoir qu’ainsi, ils ne seraient pas séparés, où qu’ils arrivent.
L’instant d’après, la vague scélérate s’écrasa au pied de la muraille. Tout le bâtiment s’ébranla quand l’eau fut projetée jusqu’à une hauteur prodigieuse, emportant tout sur son passage, des pierres de la corniche aux portes et vitres des baies, la table, les chaises, les restes du diner… La puissance monstrueuse des flots souleva Isis et Venceslas comme des fétus de paille dans une tornade.
Après une longue phase de vol dans l’écume, ils retombèrent à l’eau.
« Je suis con ! », se morigéna Venceslas. « C’est pas possible d’être aussi con ! J’avais tous les indices sous la main, et pourtant j’ai pas compris ! ». Puis d’un coup, la vérité lui apparut, claire comme le jour. Il avait toujours su qu’Isis était déjà morte quand il l’avait rencontrée dans ce mastaba. L’évidence visuelle, pour commencer, de la personne dont le cœur est à plusieurs mètres de la poitrine.
L’enveloppe n’en était pas une. C’était une lettre cachetée à la cire noire – le sceau représentait une sphère ceinte d’un disque, tracée à la plume d’une encre violette. D’une écriture propre et élégante, elle disait ceci.
« Isis, Venceslas,
Bienvenue dans mon humble demeure.
Il est temps pour vous, je pense, de prendre un peu de repos. Toutes les commodités de cette pièce sont à votre disposition, n’hésitez pas à les utiliser comme bon vous semble.
La plus grande chimère tourna ses deux têtes vers Venceslas, qui gisait en tas sur le sable, puis fixa Isis. Derrière elle, tous les autres monstres suivaient le mouvement, comme une seule entité. Une voix multiple s’éleva :
— Qu’est-ce qui lui arrive ?
— La… la peur… je crois, bégaya Isis en s’appuyant encore plus sur le mur. Elle sentait les pierres qui lui rentraient dans les omoplates malgré les nombreuses couches de vêtements.
Isis marchait dans le désert, et le temps s’étirait avec ses pas. L’exercice était plus simple que dans ses souvenirs : le sable offrait un appui confortable sans se dérober sous elle, les rochers ne tentaient pas de crochepieds, et la chaleur, bien que soutenue, restait tout à fait supportable.
Où était-elle ?
Où allait-elle ?
Quelle heure était-il ?
Où était sa destination ?
La jeune fille n’avait de réponse à aucune de ces questions.
Une flamme, minuscule, pour toute source de lumière au bout du long couloir sombre. L’air, extrêmement sec, sentait la poussière, le sable et la fumée – Venceslas étouffa une toux soudaine. Avant qu’il n’ait pu esquisser la moindre question, le félin lui intima le silence. Puis, il s’étira en hauteur, pour se transformer en une petite femme à la tunique serrée et blanche, dont la tête était toujours celle d’une chatte orientale grise.
Allongé dans son lit sous une couette douillette, Venceslas tomba. Une sensation étrange et déplaisante, très éloignée du sursaut que l’on ressent parfois à l’endormissement. Un vent chaud et moite balaya la pièce comme une senteur de pluie en été, et quelque chose lui compressait la poitrine.
Le jeune homme étira le bras vers l’interrupteur de la lampe de chevet. L’ampoule claqua dans un bref éclair, un craquement sourd et une odeur de brulé ; mais à sa grande surprise, on y voyait comme en plein jour.
Bonjour à toutes et à tous ! Cette année, je reprends le concept de l’Inktober en textes, mais dans une variante légèrement différente.
Pour commencer, saviez-vous que le concept existe réellement, et s’appelle en fait « writober » ? Si non, maintenant c’est fait !
D’autre part, j’ai découvert avec joie la liste de thème ci-dessous, qui m’a beaucoup plu, parce que plus inspirante que la bête suite de mots de la liste officielle et surtout extrêmement adaptée à la SFFF (Science-Fiction, Fantasy, Fantastique) que j’aime écrire – et heureusement, car c’est une liste conçue exprès dans ce but.
Nous sommes toujours là !
Pourquoi (encore) presque un an d’absence ? Pour diverses raisons, les principales étant le Covid et l’administration. Aucun de nous deux n’a été malade, merci ; mais les confinements et semi-confinements successifs ont été de formidables anihilateurs de motivation. Le fait d’avoir objectivement du temps libre, mais aucune énergie permettant de le consacrer à quoi que ce soit de productif fut une découverte instructive…
Quant à l’administration, plus de détails dans la suite.
01 – Le chevalier au chameau Urbain ne l’était pas, quel que soit le sens que l’on donnât à ce terme. D’une part, parce qu’il avait passé les vingt-trois premières années de son existence dans une petite bourgade aux confins presque inhabités de l’Empire ; d’autre part à cause de sa goujaterie acariâtre, vulgaire et franchement antipathique. Urbain, donc, tenait son titre et son caractère de son père, et n’était satisfait ni de l’un, ni de l’autre.