Jour 21
Aujourd’hui, rien non plus.
Aujourd’hui, rien non plus.
Aujourd’hui, rien.
* * * Avertis par leurs instruments, les trois explorateurs repartirent du NCCB Grimm un peu avant quinze heures, sous un soleil de plomb. Contrairement au matin, ils se méfièrent : lunettes de soleil, manches longues (Nab et Lina arboraient de superbes marques rouge écrevisse) et chapeaux. Évangelina surpris ses collègues en sortant munie d’un superbe tricorne noir qui, curieusement, lui allait très bien, quoique Barnabé jugea que la petite mort mignonne qui l’ornait était une faute de gout.
Ils suivirent donc Clairvoyant qui pénétra immédiatement dans le cabinet du magicien Petite-péninsule-de-palais. Le moine avait-il un passe-droit permanent, ou avait-il pris rendez-vous d’une manière ou d’une autre ? Les explorateurs n’en avaient pas la moindre idée. Ledit cabinet était une grande pièce sombre et enfumée, dont les forts relents d’encens couvraient mal les pestilences chimiques qui flottaient çà et là. Les nombreux meubles étaient tous recouverts d’éléments ésotériques, de fioles, de verrerie remplies de liquides bloblotant, d’objets incompréhensibles.
Aujourd’hui, rien.
Le féérimètre se tut ; aussitôt les trois explorateurs se remirent en chemin vers la fraicheur de leur vaisseau. Le lendemain matin, d’un commun accord, ils envoyèrent une sonde observer ce qui se passait, parce qu’il était hors de question de faire des heures de grimpette dans le hammam de l’extérieur juste pour attendre que quelque chose daigne arriver. Bien leur en pris : ils virent que l’état de la Kitsune était resté stable, sans doute grâce au produit qui l’assommait, et que le moine se préparait à faire la longue route qui l’amènerait jusqu’au village.
Le moine sortit un futon d’un placard, et y installa délicatement la Kitsune. Ensuite seulement, avec toute la pudeur dont il fut capable, il inspecta et nettoya encore la blessure de la jeune femme. Il lui fit boire une bonne quantité d’une sorte de thé ou d’infusion de plantes puis, au grand dam des trois explorateurs, il retourna méditer. Lina tapotait d’un index rageur son féérimètre, mais rien à faire, l’appareil continuait à prétendre qu’une section du conte était en cours.
Le soleil était déjà haut lorsqu’ils rentrèrent enfin au navire. Ils n’eurent toutefois pas le temps de se reposer longtemps : ils n’étaient pas revenus depuis deux heures lorsque le détecteur réagit de nouveau, soulevant une vague de protestations dans l’habitacle. — Si cette histoire se déroule par tranches fines auxquelles il faut systématiquement une heure pour accéder et pour revenir, grogna Lina dans le chemin qui descendait, je vais finir par m’en tenir aux drones et tant pis pour la fameuse « expérience du terrain » !
L’instant de surprise passé, il déposa son bol et se pencha sur l’animal. Ou l’être ? L’esprit ? Comment qualifiait-on une Kitsune ? Le moine lui pris le pouls, vérifia sa respiration, et s’en retourna. Inquiet, Nicolas s’approcha : était-elle morte ? Il y avait des contes, des histoires qui commençaient par une mort. Mais ils ne les auraient pas envoyés sur ce genre de mission, si ? Non, poitrine de l’être se soulevait encore – faiblement, mais assez pour confirmer qu’elle était toujours en vie.
— C’est curieux, dit Barnabé en consultant son appareil. Ceci est notre cible principale, on a une cible de même importance dans le village. Mais aussi une cible mineure en pleine forêt, sur le versant d’en face. — Quelle heure est-il ? — Quinze heure seize, heure locale. — Pas assez pour aller jusqu’au village, mais ça me laisse le temps d’aller voir cette cible mineure. Tu m’attends la ?
Une petite heure plus tard, les moteurs à impulsions féériques vrombissaient dans la chaleur de l’après-midi. Il y eut un chtonk sonore, et le NCCB Grimm et son équipage furent ailleurs. Il y eut un choc quand le navire s’inclina de quelques degrés, suivi du grondement sourd d’une pluie diluvienne qui s’abattait sur la coque. Évangélina pianota sur le clavier de contrôle principal. L’écran afficha : « Inclinaison : -0,5 ; +4 / Glissement : 0 ; 0 / Stabilité : excellente.
Trois mois plus tard… Nicolas galopait dans les couloirs du quartier général de la Compagnie Cinématographique de Boissaint, heureux que les grosses chaleurs de l’été soient enfin passée. Évangélina et Barnabé étaient revenus de leur congé pathologique deux semaines plus tôt que prévu ; pris de court, le renard s’était retrouvé embringué dans un retard qu’il tentait vainement de rattraper. Essoufflé, les pattes douloureuses, les coussinets brûlés par l’asphalte au soleil de midi, il trouva pourtant le courage d’accélérer quand il vit ses deux coéquipiers l’attendre à bras ouverts à l’entrée du NCCB Grimm.